Cinq ans se sont écoulés depuis les événements de Vipère au poing. Jean Rezeau, alias Brasse-Bouillon, revient dans La Mort du petit cheval avec l’illusion de prendre enfin sa vie en main. Il s’est efforcé, ou plutôt il a fait semblant, de reformuler son quotidien pour échapper à l’emprise toxique de sa mère – l’inoubliable et tyrannique Folcoche – et à l’indolence coupable de son père. Il a grandi, l'émancipation aux lèvres. Mais voilà : chez lui, la haine n’est pas un accident, c’est un moteur. Ses décisions ne naissent pas d’un goût de vivre ou d’une volonté de construire, mais d’un réflexe pavlovien de contradiction. Plutôt que bâtir un avenir fondé sur ses désirs, il passe son temps à ériger des contre-projets pour prouver qu’il n’est pas "elle". On pourrait croire que s’installer à Paris, loin de la maison familiale, suffirait à échafauder une identité propre. Illusion : même à plusieurs centaines de kilomètres, il traîne Folcoche comme une ombre. Voire un boulet qu'il aime polir et admirer. À force de lutter contre elle, il finit par lui ressembler – ce qui est la pire victoire qu’elle puisse obtenir. Professionnellement, il refuse le droit, ce cursus bourgeoisement obligatoire pour tout Rezeau qui se respecte, et rêve de journalisme. En attendant, il enchaîne les petits boulots miteux, les portes closes et les humiliations indirectement signées par le carnet d’adresses maternel. Et puis il y a l’amour. Un mot qui, jusque-là, relevait pour lui d’une littérature suspecte. Il tombe dessus un jour banal, dans un parc, en croisant celle qui deviendra sa femme. Rien de romanesque, pas de coup de foudre flamboyant : juste la banalité désarmante d’un événement qu’il ne cherchait pas. Mais même ce bonheur naissant reste sous surveillance : la rancune et la méfiance sont toujours prêtes à troubler l'idylle naissante, qui plus est déconsidérée par la famille de Jean, qui revient jouer les trouble-fêtes au pires moments. Bazin raconte tout cela avec un mélange déconcertant de langue savante et populaire, une fluidité qui n’a pas peur d’un sarcasme bien placé. On lit comme on boit un alcool fort : ça brûle un peu, mais ça réchauffe, aussi. La Mort du petit cheval n’est pas l’histoire d’une libération, mais celle d’un combat quotidien contre un héritage intérieur qu’on ne choisit pas. Même en cherchant à fuir son passé, Jean reste prisonnier d’un syndrome de Stockholm à distance : il hait Folcoche, mais il s’est bâti contre elle – et donc, quelque part, avec elle. C’est toute la force du roman : montrer que, parfois, échapper à son enfance, c’est impossible tant qu'on conserve le pire, le ressentiment, comme essence dans le moteur. La purge est nécessaire, et prend un temps fou. Le lecteur est invité à la grande purification, Hervé Bazin ne cache (presque) rien, mérite parfois des claques, mais accouche d'un roman qu'on ne lâche pas, jusqu'à sa dernière page.

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