dimanche 23 novembre 2025

ALPHA : COME FROM HEAVEN

 En 1997, un murmure surgit dans un paysage britannique alors saturé de guitares arrogantes et des rodomontades de branleurs de la pop. En ce temps-là, Bristol ressemblait à un laboratoire en ébullition : Massive Attack rodait chaque soir dans l'ombre, Portishead cultivait la neurasthénie, et quelques producteurs visionnaires rêvaient d’étendre ce territoire d’échos feutrés et de rythmes en apesanteur à l'ensemble du monde. Dans cette atmosphère propice à la corde au cou, Corin Dingley et Andy Jenks décidèrent de créer un disque qui ne ressemblerait ni à un manifeste, ni à une révélation, mais plutôt à un poison à distillation lente.

En 1997, Alpha sort donc Come From Heaven sur Melankolic, le label bien nommé fraîchement lancé par Massive Attack pour accueillir les sensibilités trop fragiles ou trop singulières (les losers, quoi) pour les majors de l'industrie. Et ce premier album s'inscrit exactement dans cette lignée : une œuvre que personne n’attendait, entièrement formée, déjà sûre de son esthétique, un satellite qui se place en orbite sans avoir eu besoin de décoller. Dès les premières secondes, Alpha impose son climat : pas d’introduction, pas de crescendo, pas de débordement symphonique. Juste un souffle, un battement au ralenti, trois fois rien . On comprend assez vite que ces deux-là ne veulent pas secouer l’auditeur : ils veulent le désarmer. Les cordes montent comme une brume, les beats avancent sur la pointe des pieds, et les voix masculines ou féminines se glissent dans les interstices, fragiles, presque trop près du micro, comme si elles hésitaient à troubler l’air. Elles chantent ou s'excusent, on ne sait plus. Ce qui frappe et qui a souvent été dit, c’est que Come From Heaven s’écoute comme une saison. Une saison lente, automnale donc, cette période précise où la lumière décline un peu trop tôt et où la ville semble scintiller dans un halo doré. L’adrénaline n'habite pas ici, place plutôt à un état d’hébétude confortable : la sensation d’être enveloppé dans un disque qui étire le temps, qui refuse la précipitation, qui se fout éperdument des temps modernes imposés par la pop préformatée. Au centre de cet exercice au ralenti, un morceau-pivot : Sometime Later, véritable cœur battant du disque. Un fantôme, le spectre de l'ossature d'un titre jazzy et diablement classieux. Au bout de cinq minutes, la voix se détache, le morceau respire, s’élève, retombe… la trajectoire émotionnelle de l’album tout entier est résumée. Le duo Dingley/Jenks cultive une sophistication qui n’a rien de clinquante : arrangements minutieux, textures veloutées, micro-variations qui passent presque inaperçues mais finissent par dessiner une ambiance cohérente, hypnotique, presque amniotique. Du coup, les 68 minutes n'ont aucune chance de retenir sur la durée les auditeurs impatients ou les furieux de la six cordes. Ils sont partis en jurant, ou profondément endormis, dès le premier quart d'heure. La vérité, c'est que Come From Heaven n’a jamais été un disque de « trip-hop » au sens strict : il partage le même climat que ses contemporains de Bristol, mais il se tient à distance des ambiances glauques qui les caractérisent. Alpha ne cultive pas l’angoisse, plutôt la suspension. On ne coule pas dans un océan bitumeux, on flotte, descend puis remonte, porté par une brise tiède, sans le moindre repère. Ce n'est pas le paradis, mais ça n'est plus non plus le monde terrien. Entre deux eaux, entre deux stades, un territoire qui n'existe pas mais qu'on retrouve à chaque écoute, trente ans plus tard. Il est superflu d'ajouter qu'Alpha ne fera jamais mieux. 


 

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