lundi 25 juin 2018

U2 : ACHTUNG BABY!

Avant de devenir le professionnel de la charité et le militant des causes perdues, mais qui rapportent gros, Paul Hewson, aka Bono Vox, fut aussi le leader indiscuté du plus grand groupe de rock du monde. Une obscure formation irlandaise, dont les membres n'avaient rien de musiciens de génie avant de s'acheter leurs premiers instruments, a finalement conquis le toit du monde, continent par continent. L'Amérique fut le morceau le plus difficile à accrocher, mais à force d'insister et par la grâce de deux albums incontournables, The Josuah Tree et Rattle and hum (et ses duos de légende; de BB King à Lou Reed... par la suite ce furent Sinatra ou Johnny Cash, Bono aime la reconnaissance de ses pairs...) U2 a finalement gravi le sommet ultime. Et là tous les coureurs du Tour de France vous le confirmeront : une fois franchi le col, vous ne pouvez plus que redescendre. Sauf que Bono et sa bande, fin 1989, vont descendre de vélo et attaquer à la corde et en rappel la dernière sommité inatteignable en bicyclette. Encore plus haut que haut, la tête dans les nuages. Achtung, baby ! 



Tel est le titre de l'album que U2 va peaufiner à Berlin, pour y respirer à pleins poumons le délicieux air de la décadence, toujours aussi fertile et propice aux coups de génie. Brian Eno est en renfort pour des conseils avisés, tandis que Flood s'occupe de produire le nouveau né. Attention, on retrouve déjà le sieur Flood sur Violator de Depeche Mode, pour les habitués de la fin des eighties... Même en jouant négligemment de la guitare pour passer le temps et trouver l'inspiration, U2 acouche de coups de maître, comme One, qui va devenir la balade ultime du groupe et sera reprise par des dizaines d'autres artistes. The Fly est l'hymne du dédoublement de personnalité du leader irlandais, qui affublé de lunettes de soleil exagérées, devient La Mouche et démonte les travers du show business dans une tournée légendaire et marathon, fantasmagorique (des trabans tournent à quinze mètres du sol sur des axes de métal, des dizaines d'écrans géant étourdissent le public) et regréttée, depuis. Certes, il ne tardera pas à s'y perdre, lui aussi, mais l'époque fut glorieuse. Une fois les cornes du Diable enfourchées, le voici devenu Mac Phisto, icone de la diablerie de consommation, qui interprète des morceaux de bravoure rock comme Mysterious Ways ou Until the end of the world, morceaux pêchus de l'album déjà cité. 



Achtung baby est presque parfait. Pas de temps morts, des perles à foison, comme Ultra Violet, superbe morceau romantique et joué dans l'urgence, ou Who's gonna ride your wild horses, où la fusion guitare allumée de The Edge et chant plaintif de Bono trouve un accord divin. Even Better than the real thing donne à The Edge l'opportunité de jouer au virtuose du manche, et Love is blindness vient clore l'album en beauté, avec un titre superbe à en rester prostré pendant des heures. U2 s'emparait de la couronne pour au moins deux ans passés, sur le toit du rock mondial, avec ce grand Achtung Baby. Avant d'en redescendre brusquement, avec des productions très inégales, comme Pop, par exemple. De toutes manières le groupe avait là de quoi partir à la retraite tranquille, sans besoin de souscrire à une complémentaire de santé...


dimanche 24 juin 2018

PETIT DICTIONNAIRE DE LA MISERE SOCIALE

Dictionnaire de la misère sociale (1)

QUERIR ( kerir )   aller chercher, ramener   Sullivan, ramene tin cu e va'm quert Lekip   De ce verbe est né le mot la "quête", voir le chef d'oeuvre de la littérature médiévale de la misère sociale, "Les chevaliers deul'l table ronde", où les héros, des chevaliers " ronds comme des coings " vont quert " eus graal ", une coupe pleine de Picon bierre aux pouvoirs magiques.

TIOT (Tio)   Petit, jeune   T'as vu Brenda? Sin tiot il a du brin a sin cul, i pu la mort!   Derive de "petiot", forme archaïque de petit, chaque famille en misère sociale produit de trois à huits tiots selon la fécondité de la génitrice et le taux d'alcolémie du géniteur.

VAQUE (vak)   Vache, veau, taureau   Gad eul grosse vak, alla des cannes comme des saucissons!   La Vaque est un des anciens plats typiques de la misère sociale, cuisinée avec beaucoup de piments, d'où le nom du plat, la "vaque enragée"

ZALLOCS (zalok)   Allocations, aides sociales   Eu't mère allé parti al poste touché ses zallocs, alors ferme eut'gueule, ming eu't main et garde l'aut pour dmain.   Les Zallocs ont une origine inconnue. Un ancien gouvernement de gauche de la misère sociale aurait inventé ce concept pour relancer la consommation des ménages. Toutefois, seule la natalité à augmenté, et certains racontent que les zallocs sont l'autre nom du R.M.I, ce qui n'a jamais été prouvé.



LE SYSTEME MONETAIRE DE LA MISERE SOCIALE

En misère sociale, le peuple règle ses achats avec la monnaie locale, les balles. C'est une habitude qui remonte à la première guerre mondiale où on s'echangeait diverses denrées alimentaires contre les balles retrouvées dans les tranchées "deuch nord". On ne connais pas encore très bien la valeur réelle de la balle, toutefois on estime qu'un lecteur DVD coûte environ six à sept cent balles, tandis que les fameuses zallocs, déjà evoquées plus haut, peuvent rapporter, à une mère pondeuse seule et avec quatre enfants, plus de trois mille balles. Les miséreux sociaux les plus riches sont ceux qui ont profité de l'explosion du marché des travaux du bâtiments pour investir leurs balles dans des briques. La brique vaudrait plus de dix mille balles, et avec plusieurs briques, il serait possible, parait il, de se procurer une caisse, qui représente le sommet du bonheur pour un foyer en misère sociale. Mais personne ne sais à ce jour ce qu'est vraiment une caisse, tout juste sait on qu'à moins de cinq briques, il est impensable de trouver une bonne caisse, quelle que soit cette caisse. Des convertisseurs Euros/balles avaient autrefois été offerts aux miséreux sociaux, mais faute de mode d'emploi rédigé en leur langue, ils ont finalement été abandonné, et la balle est restée populaire. Gageons qu'en cas de future tentative, le gouvernement saura faire appel à nos services eclairés de nous autres, linguistes de l'extrême.


samedi 23 juin 2018

SKETCHING THE HEROES (PART ONE)

Créations comics, quelques petits dessins de ces dernières semaines. Réalisés sur papier A4 250 g (blanc ou bistre) avec feutres copics, posca, un peu d'aquarelle ou de pastel.
Dessins originaux, "recreations", un peu de tout, selon mes modestes moyens.

Spider-Man veille sur New-York

Superman half bust

Ce couillon de Deadpool, half bust

Vous vous souvenez de Spawn?

Felicia Hardy, the Black Cat

Gamora. Pas celle des films, la vraie, des comics

Tout ceci est en vente, 5 euros prix unitaire. Attention, certains peuvent avoir déjà été vendus ou réservés.
Sur commande : 7 euros

mercredi 20 juin 2018

THE CURE : DISINTEGRATION

Amis gothiques, vous êtes probablement parmi ceux qui considèrent THE CURE comme LE groupe de référence en matière de new wave. Après une longue carrière très productive, Robert Smith et sa bande à géométrie variable ont derrière eux une impressionnante série de succès et une horde de fans purs et durs. Retour sur ce qui est probablement la plus grande réussite curiste, le grandiose DISINTEGRATION, qui déjà en 1989 devait signifier la fin du groupe (d'où le titre). Avec le recul, tout cela fait bien sûr sourire... (encore que... artistiquement peut-on parler de mort cérébrale?)

De tous les opus de The Cure, Disintegration est certainement celui qui est nanti de l'ambiance la plus féerique et la plus imaginaire. Il serait impensable de décrire toutes les émotions que l'on peut appréhender en l'écoutant. C'est ausi la bande son idéale pour tous ceux qui hésitent entre laisser ouvert le gaz toute la nuit ou s'enfiler une belle boite de medocs pendant que les parents ont le dos tourné. En l’offrant à nos tympans, nous sommes en proie à des visions d’aubes sibériennes, des lacs scintillants, et des ondées de pluie fine, sur une plage de sable en plein hiver. Ce n'est pas une invention, c'est ce que dit lui même Robert Smith, quand il décrit le paysage imaginaire qui lui trottait dans la tête à l'époque, après quelques bières bien tassées. 
Pour Simon Gallup, une seule corde de basse suffit à créer une mélodie. Ses lignes de basse sont si aguichantes qu'elles peuvent se permettre de tenir des titres de 8 minutes. Les synthétiseurs, omniprésents sur l'album, favorisent la création de ces émanations venues d'ailleurs. Les mélodies envoûtantes écrites par Robert Smith ne seraient rien, si elles n’étaient pas portées par les guitares étirées et filamenteuses de Porl Thompson (« The Same Deep Water As You », un bluffant morceau de dix minutes), passant de l’amertume désenchantée (« Pictures of You » pop et pourtant si mélancolique, le superbe « Fascination Street » le titre le plus rock, « Homesick » peut être un peu forcé), à une douce morosité fiévreuse et maussade (« Plainsong », l'incontournable « Lullaby », « Closedown », la mirifique « Last Dance », « Lovesong », « Untitled »). Robert Smith atteint même ici l’osmose parfaite entre la lourdeur morbide et glaciale de « Faith » et la légèreté déroutante de « Why Can’t I Be You ». Smith, tel un troubadour mystique, passionné et visionnaire, distille le vague à l'âme et la mélancolie comme personne. Rouge à lèvres grossièrement appliqués sur ses lèvres de quasi alcoolique, le cheveu gélatineux et hérissé, ses élucubrations font encore mouche presque vingt ans plus tard, et font rougir de honte toute une génération qui s'applique à singer le père mais restent seulement de simples fils ingrats.



Toute personne qui voudrait connaître et explorer plus en profondeur l’univers de The Cure doit se procurer cette perle précieuse et rare qu’est Disintegration. Les années 80 s'achèvent donc d’une manière grandiose avec cet album, qui serait donc plus à comprendre comme désintégration d'une décennie plus que comme celle du groupe. Tout ce qui a pu se passer après cet album somptueux a peu d'importance. Cette œuvre remarquable, (durement critiquée par leur maison de disques) de Smith et sa bande, s'est quand même vendue à plus de 2 millions d'exemplaires aux USA. Certains s'acharnent encore à détruire la légende des Cure en s'attaquant hardiment à des albums postérieurs comme Wish (trop pop pour être honnête?) ou Wild mood swings (fourre tout pas si mauvais, mais trop loin de l'etat d'esprit des purs curistes suicidaires). Grand mal leur en fasse. Quand à vous, il n'est jamais trop tard, le cas où...


mardi 19 juin 2018

DEPECHE MODE : A BROKEN FRAME

D’habitude on dit de A Broken Frame : Un album de transition. Ceci car Depeche Mode, après quelques mois d’existence, se retrouve déjà sans son principal compositeur, et doit donc espérer en Martin L.Gore, un blondinet freluquet, pour prendre la relève, si possible avec succès. La tâche est loin d’être évidente et les journaux musicaux s’empressent d’enterrer les Mode sans tergiverser. Ces derniers ont bien recruté un bon musicien pour pouvoir se produire sur scène, mais le dénommé Alan Wilder n’a pas encore, en ce début 1982, le droit de citer dans la phase d’enregistrement des nouveaux titres. Déjà qu'il a du (légèrement) mentir pour correspondre au profit désiré, sur les petites annonces de Martin... Le premier single de l’ère Gore s’appellera See You, une comptine pop mélancolique et romantique, «catchy» comme on dit en Grande Bretagne, mais loin d’avoir une profondeur réelle pour ambitionner une vraie crédibilité sur la scène pop nationale. See You, ça veut aussi dire «à plus, à la revoyure», dans un certain sens ironique, comme une dédicace à Vince, parti sous d’autres cieux. Le single suivant sera bien pire : The meaning of love est un exercice baroque de pop guillerette qui est assez embarrassant à écouter aujourd’hui, comparé à ce qui va suivre. Inspiration défaillante, dans les grandes largeurs. La bonne surprise survient quand personne ne l’attend, avec Leave in silence. Voilà un morceau qui n’a rien d’un tube, mid-tempo et brumeux, gluant comme un des ces matins de réveil d’après cuite. Mais surprenant car mûr et bien plus profond que ces cinq prédécesseurs, et capable malgré tout de trouver un public sans trop de difficultés. Un signe évident, et avant coureur, des prises de risque, des innovations qui distingueront le groupe de Basildon les années suivantes.



L’album renferme aussi d’autres titres finalement assez lents, tristes, loin de la pop insouciante du premier album. Monument est un petit exemple de désillusion mise en chanson, alors que Nothing to fear est un de ces instrus bizarroïdes dont les DM ont le secret, qui pioche ouvertement dans la scène indu électro. Satellite est à ce jour le seul titre construit sur un code reggae, transmuté et reconstruit à coups de synthés. The sun & the rainfall clôt le disque sur une autre note aigre douce, augurant que «les choses doivent changer, nous devons les réarranger», comme le récite le texte de Martin Gore. Une conscience socialiste (ou plutôt naïvement populiste ?) semble sortir de l’ombre, lentement, mais sûrement. Un rappel à cette faucheuse dans un champ de blé qui orne la couverture, et qui fait aussi écho à la mort elle-même, son arme à la main, ou simplement au temps qui passe, et n’oublie personne? Le marteau du disque suivant viendra apporter son lot de réponses, sans que Depeche Mode soit à classer dans la catégorie musiciens à chemises rouges pour autant. 
A Broken Frame, une transition, donc. Ou plutôt, une graine, qui porte en son sein l'excellence de la production à venir, et qui sans tambour ni trompette, révolutionnera la musique pop et l'usage des synthés. Même si le groupe préfère ne plus trop entendre parler de son travail de 1982...


lundi 18 juin 2018

LES CAVERNES D'ACIER D'ISAAC ASIMOV

Je vous ai déjà dit que je suis très friand de romans de science-fiction? De temps en temps, j'essaierai de vous en présenter quelques-uns, parmi ceux qui sont restés, des décennies après avoir été écrits, les plus marquants de leur génération. Nous commençons aujourd'hui avec les Cavernes d'acier, de l'inénarrable Isaac Asimov, qui nous présente une société d'un lointain futur, où perdure la xénophobie et la méfiance des autres, même si de manière un peu particulière. 
L'humanité s'est en effet séparée en deux tronçons distincts; les Terriens de base, qui vivent sur une planète plus que jamais empoisonnée, réfugiés à l'intérieur de mégapoles immenses, à l'abri des éléments et de la nature moribonde, dans un contexte artificiel et mécanique. Ce que le romancier appelle les cavernes d'acier donc, des immenses constructions de béton et d'acier, où on ne respire jamais l'air libre, ni ne profite de la douce chaleur des rayons du soleil. De l'autre côté, nous trouvons les Spatiens, qui sont les descendants de ceux qui sont partis à la conquête des étoiles. Ils ont colonisés de nouvelles planètes puis ils ont installé une cité sur terre, du nom de SpaceTown. Les relations diplomatiques avec les terriens classiques sont très tendues, les spaciens ne connaissent plus la maladie, leur environnement est aseptisé et ultra contrôlé, et ils sont fiers d'avoir aussi éradiqué le crime. Sauf qu'un jour un assassinat est commis sur leur territoire, et l'enquête qui va devoir débuter en catimini pourrait bien mettre en péril le fragile équilibre qui s'est instauré, d'autant plus que même si nous n'en n'avons pas encore parlé pour le moment, les robots vont jouer un rôle déterminant, comme très souvent avec Asimov. Si les terriens les méprisent et s'en méfient hautement, à Spacetown ils peuvent revêtir une apparence confondante de vérité, et ressembler en tout point à de vrais humains.

C'est d'ailleurs l'un d'entre eux, R Daneel Olivaw, qui va être chargé de l'enquête, aux côtés d'un détective tout ce qu'il y a de plus traditionnel, Elijah Baley. Bien entendu, il serait préférable que l'humain parvienne à résoudre le mystère de cet assassinat malencontreux, autrement c'est le rôle même de la police et des institutions qui est en péril. Après tout, si une machine fait mieux le travail d'un salarié ou d'un fonctionnaire, pourquoi ne pas tous les remplacer? 
Vous l'avez compris, les thèmes abordés dans ce livre, qui a été publié en 1954, sont toujours vraiment d'actualité. La phobie qui règne dans les cavernes d'acier, la course vers la productivité et la rationalité, qui perd complètement de vue le côté humain et naturel, la déshumanisation du travail et la peur de perdre son emploi et son statut social, tout ceci infuse ces pages, qui se laissent lire très facilement. Le style d'Asimov n'a jamais été ampoulé ou plein de circonvolutions de langage, il va à l'essentiel et chez lui la trame prime sur la forme, bien qu'elle reste suffisamment soignée pour que l'on puisse parler de littérature véritable. En fait, il s'agit là d'un mécanisme presque parfait. Chaque chapitre apporte sa pierre à l'édifice, et le roman ne connaît aucun temps mort. Maestria totale dans la manière de raconter les faits, par un Asimov très inspiré. De plus, Daneel Olivaw est très bien campé et on s'attache vite à cette machine, qui est bien plus humaine qu'elle ne semble, et qui va avoir une importance capitale sur le reste de l' œuvre de l'auteur russo-américain. Aujourd'hui classé comme étant le troisième tome de ce que l'on appelle le cycle des robots, les cavernes d'acier peut bien entendu se lire de manière totalement autonome, et constitue un des tout meilleurs romans de science-fiction du XXe siècle. En plus, cela plaira à coup sûr aux amateurs de romans policiers!



samedi 16 juin 2018

F COMME : FUTILITE

Comme j’aimerais tant être quelqu’un ! Non pas que je nourrisse le moindre doute quand à mon identité à l’état civil, quand à mes racines et ma famille. Bien au contraire, je n’ai malheureusement que des certitudes sur ce point, et elles me pèsent et m’oppressent la plupart du temps. Non, par être quelqu’un, j’entend quelqu’un de célèbre, de reconnu, un nom qui revient comme un mantra sur des lèvres qui chantent mes louanges, une image postérisée dans les chambres des adolescentes, une icône clickée et googlisée sur le net.

Curieusement, si c’était le cas, les masses adorantes ne connaîtraient pas mon véritable nom ; j’aurais eu soin de me cacher pudiquement derrière un pseudonyme, un acronyme, un symbole abstrait ou même une onomatopée… qu’importe le choix, ce serait là ma nouvelle incarnation, celle de ma réussite et de ma gloire. Je voudrais qu’il précède même, sur les moteurs de recherche, les mots «sexe gratuit» ou «viagra cialis», être incontournable et omniprésent, fanatiquement traqué et désiré, mais rester bien sûr totalement inaccessible. Je tiens à préserver mon équilibre.

Cette idée peut vous paraître futile, voire saugrenue, mais moi, elle m’obnubile. J’y pense tout le temps, nuit et jour ça me travaille. Je ne sais pas précisément comment cette pulsion s’est emparée de moi, mais l’autre jour je m’en suis ouvert à mon psy. Selon lui, je suis contaminé. Atteint par le discours populiste et égocentrique, infantilisant et dérisoire, de ma télévision. Enfin, je dis «ma» télévision, mais ça pourrait tout aussi bien être la votre, et donc, votre cas. C’est juste que moi, j’ai eu, parait-il, le tort de passer trop de temps au contact de ce foyer infectieux, j’ai du contracter une kyrielle de bacilles et de germes particulièrement virulents. Il faut dire aussi que ces dernières années, entre les émissions de télé réalité, le journal télévisé et les frasques mondaines de nos politiciens, il y aurait eu, toujours selon mon psy, une véritable épidémie dans le pays.

Mon psy me dit que ce n’est que de la poudre aux yeux. Que l’opium n’est qu’un anesthésiant, que toutes ces fantaisies et ces lubies que je nourris en mon sein, c’est comme le déni de la réalité, une fuite improbable, une chimère toxique. Mais moi, je ne suis pas vraiment d’accord. Mon psy est fort sympathique par moments, mais il a une tare évidente, dont il n’a heureusement pour lui pas conscience : il n’est personne.


ZAGOR : LE PRESQUE SUPER HEROS ITALIEN

Les super héros sont américains. Par essence, par origine, par habitude. Très peu, pour ne pas dire personne, ont été en mesure de mettre sur pieds un univers super héroïque capable de rivaliser avec les décennies de gloire de Marvel ou Dc. Simplement trouver un titre, une série, qui passionne le lectorat depuis des décennies, s'avère presque impossible. Mais en marge des super héros classiques en spandex, l'Italie a des idées...
La maison d'édition Sergio Bonelli propose ainsi depuis 50 ans les aventures d'un héros particulier, au nom bien étrange : Za-Gor-Te-Nay, ce qui signifie, dans un dialecte algonkin (dialecte d'une tribu indienne) l'esprit à la hache. Tout un programme. Après avoir perdu ses parents dans sa prime jeunesse, Zagor a consacré sa vie à la défense de la paix et de l'ordre dans la forêt de Darkwood, un lieu imaginaire, inventé par Guido Nolitta (en fait le pseudo de Sergio Bonelli himself), situé dans les États Unis orientaux. Les extraordinaires prestations athlétiques de Zagor, ses aventures, le charme de son costume et son hurlement de bataille (un caractéristique "AAHHYAAKK!") ont fait croire aux Indiens qu'il s'agit d'un demi-dieu envoyé par Manitou. Même si la plupart des aventures se passe dans une ambiance western, Nolitta y a aussi inséré beaucoup d'éléments fantastiques, effroyables et policiers. C'est ainsi que nous pouvons sauter sans discordance des rivalités entre tribus, des guerres entre blancs et peaux-rouges, à l'apparition d'extra-terrestre venus du fin fond du cosmos, ou la présence de monstres mutants effrayants. Chez Zagor, l'aventure est multiple et se conjugue à toutes les sauces. C'est ce qui fait le charme de la série, son attrait sans pareil. Notre héros est entouré d'un cast de personnages secondaires assez savoureux. Tout d'abord, son inséparable partenaire: le petit homme au grand ventre, gourmand, hypersympathique mexicain Don Cico Felipe Cayetano Lopez y Martinez y Gonzales, plus simplement connu de tout le monde comme Cico. Et encore, Tonka, sakem des Mohawks et frère de sang de Zagor; l'empoté détective Bat Batterton, le chercheur de trésors Digging Bill, le marin Fishleg, le "guitariste-pistolero" Guitar Jim et beaucoup d'autres. Qui dit amis dit aussi ennemis. Zagor a livré à la justice des centaines de hors-la-loi, parmi lesquels le plus dangereux de tous: Hellingen, un savant génial mais fou dont les projets pour la conquête du monde (et, certaines fois, de l'univers entier) ont été toujours éventés par notre héros. Parmi les autres ennemis, le vampire Rakosi, le druide Kandrax, l'"alter ego" SuperMike, l'esprit du mal Wendigo. Bref, rien à envier au X-Men ou à Daredevil, notre Esprit à la Hache!



Zagor est une série qui a donc 50 ans. Régulièrement publiée chaque mois, en noir et blanc (une collection historique en couleurs et grand format est en ce moment proposée avec un important quotidien italien), elle est une des fers de lance de l'écurie Bonelli, dont les autres best-sellers s'appellent Tex (le cow-boy), et Dylan Dog. Il est difficile pour le lecteur français d'aujourd'hui de se faire une idée, car il n'y a plus d'adaptation Vf en kiosque, ni en librairie. J'ai contacté voilà peu Clair de Lune, qui traduit Tex, en offrant mes services pour ranimer Zagor, mais j'ai essuyé un refus type assez froid et fort décevant. Du coup vous ne pourrez vous rabattre que sur d'anciennes mais très bonnes aventures, proposées sur un mensuel petit format et noir et blanc (encore plus petit que l'original italien) du nom de Yuma. Aux éditions Lug, puis semic. Ou bien prendre des cours pour lire la langue de Dante, si ce n'est pas déjà le cas. Étant pour ma part parfaitement bilingue, je ne peux que vous encourager à vous jeter sur la Vo, qui elle est en bonne santé et vient de fêter un demi-siècle d'existence.


Mais pourquoi lire Zagor, me direz-vous? En quoi ce titre est-il proche de ce que nous pouvons trouver dans les comics américains, pourquoi souvent les lecteurs de l'esprit à la hache ne dédaignent pas non plus d'acheter Spider-Man et consorts? Tout d'abord, pour ces valeurs hautement nobles et chevaleresques de l'héroïsme désintéressé que le personnage professe. Son combat est destiné à être perdu dans les grandes largeurs. L'histoire nous enseigne que si Zagor est un des ardents défenseurs de la paix et d'une existence sereine entre indiens et nouveaux colons qui débarquent sur les terres vierges américaines (le récit est situé, grosso modo, aux alentours de 1830-1840), son combat connaîtra une issue tragique, et les peaux-rouges finiront par être défaits, destinés aux sinistres réserves, qui sont autant de prisons déguisées. Sans tenir compte des massacres, règlements de compte, et autres épisodes cruels qui marqueront leur cohabitation impossible avec l'homme blanc, venu se servir sans vergogne.

vendredi 15 juin 2018

LE VENTRE DE PARIS : EMILE ZOLA FAIT RIPAILLE

Écrivain des plus redoutés voire rébarbatifs pour les pauvres (?) élèves de première, tout occupés à décrocher un Bac français à l'importance somme toute relative, Emile Zola est pourtant un des artistes majeurs de la littérature française, et vous allez souvent en entendre parler sur ces colonnes. Le Ventre de Paris, ça vous dit quelque chose? 
L’histoire est simple : Florent s’évade du bagne de Cayenne (où il était emprisonné injustement) et débarque à Paris chez son cousin le charcutier Quenu. Celui-ci est marié à Lisa, une jolie charcutière bien en chair, une des grandes figures des Halles de Paris, le quartier dans lequel se situe l’action de ce roman. C’est d’ailleurs le quartier même qui est le vrai protagoniste, ici. Les différents commerçants, les différents magasins, sa vie interne et ses nuances difficiles à comprendre pour le novice, tout cela est un nouveau monde que Florent, qui accède au poste d’inspecteur des Halles sous une fausse identité, va découvrir peu à peu, pour finalement succomber, vaincu par un monde qui le rejette et le condamne. Cette fois, Zola brosse un tableau sans concession des petits commerçants, de cette classe moyenne particulière qui s’engraisse et rêve tout bas de promotion sociale, sur fond de débauche alimentaire et de ripaille obscène.

A l’époque, le bon gros ventru, ou la femme bien en chair, c’est un symbole fort, celui du bourgeois, qui mène bien sa barque et a une vie quotidienne agréable. Le bas peuple, les ouvriers, sont malingres et souffrent la faim. On ne mange pas de viande chaque jour et on se serre la ceinture après y avoir fait de nouveaux crans. Mais dans le quartier des Halles, chaque jour, c’est une incroyable profusion alimentaire, un festin sans cesse renouvelé, qui est préparé ou apporté. C’est qu’il faut bien nourrir tout Paris, qui à l’époque est en train de devenir une métropole tentaculaire dont le nombre d’habitants, de bouches à remplir, est en constante augmentation. En bon chef de file du naturalisme, Zola joue avec maestria sur les poissons, les viandes, les noms de fromages, qu’ils orchestrent dans plusieurs pages mémorables, qu’on surnomme souvent avec ironie «la symphonie des fromages». Il passe tout cela en revue, avec force détails lyriques, car il est avant tout payé au mot lors d'une première publication dans la presse. 
Mais le vrai fond du livre, c’est comme toujours les rancoeurs et les bassesses du genre humain, les vengeances et les trahisons qui s’orchestrent, les désillusions politiques et les rêves mort nés. C’est Dallas en plein quartier des Halles. L’or noir y est remplacé par des quartiers de bœuf, mais c’est tout autant impitoyable. On se prend à vouloir, comme souvent chez Zola, humilier et donner une leçon à certains de ses personnages tant ils sont haïssables ; mais c’est ça la grande force de l’écrivain, celle d’enquêter sans concession sur les misères du genre humain. Pour information, Lisa la charcutière voluptueuse, est une des filles Macquart, la sœur de Gervaise que nous retrouverons un jour prochain dans l’excellent L’assommoir. Tous ceux qui croient aux secondes chances devraient lire ce roman indispensable ; ne serait-ce que parce qu’il est probable qu’il finisse par leur faire changer d’avis !


DEPECHE MODE : MUSIC FOR THE MASSES

De la musique pour les masses. Ironique ou pas, Depeche Mode voit grand. Sur le livret qui accompagne le disque, on trouve des haut parleurs qui diffuse la musique du groupe, dans le vide, sur fonds de paysages divers et variés. Anton Corbijn a pris en main l’aspect visuel un an auparavant et d’emblée ses idées vont contribuer à former une légende empreinte de mysticisme païen et de mystère profane. La musique, elle, est plus electronique et froide que jamais, sur certains des titres, comme Behind the wheel, presque minimaliste, ou encore l’angoissant et grandiloquent Pimpf qui clôt l’album et ouvre la longue série de concerts que les Mode ont décidé de donner à travers le monde. Cela dit, on peut entendre également une volonté de renouer avec la pop plus immédiate des Lp précédents, tout en gardant la noirceur acquise l’année d'avant avec Black Celebration. Les singles sont imparables et fonctionnent à merveille. De petites perles de synthé pop adulte qui ont une vocation, celle de confirmer définitivement l’entrée de la new wave dans sa phase adulte, pratiquement à son apogée. Sexe et religion se mêlent harmonieusement, sans qu’on puisse bien comprendre quel concept motive l’autre, lequel est sacré, où est la priorité. Never let me down est encore à ce jour un des hymnes récurrents du groupe en live, un morceau qui bénéficie d’arrangements remarquables, et de nouvelles sonorités. Strangelove est lui un titre plus formaté pour le passage radio, immédiat et dansant, sans autre prétention que d’attirer l’attention du public sur ce "Music for the masses".

L’introspection est très réussie, sur cet album. Avec tout d’abord le planant et presque lugubre the things you said, chanté par Martin Gore, plus désenchanté que jamais. Le même revient plus tard narrer une histoire de désir et de luxure qui confine à la folie possessive avec I want you now et ses soupirs éloquents. Les effets dramatiques induits par la tentative de singer la musique classique, présents sur le déjà cité Pimpf rehaussent le très beau Little 15, message annonciateur de la corruption imminente de l’âme d’une adolescente. Un peu plus rock ( ou devrait-on dire indu rock ? ) To have and to hold retrouve les accents martiaux du disque précédent, truffé de petits sons intrigants, avec ce message en russe qui filtre derrière la musique comme une alerte urgente, et qui fait écho, par exemple, à la roue (ou l’enjoliveur?) et les portières qui claquent de Behind the wheel. De l’art et la manière de créer un second plan musical à partir du sampling, en ajoutant de petits éléments à priori anodins mais qui renforcent le pathos et la sacralité des morceaux. MFTM n’est pourtant pas le meilleur album de Depeche Mode. Il regorge certes de chansons rythmées et diablement efficaces, mais souffre légèrement de ce coté décousu, collection ou patchwork trop peu unitaire. Mais l’excellence de certains titres, et le succès tonitruant des singles, va propulser le groupe sur la route, pour une tournée de folie, qui va faire l’objet d’un documentaire vidéo et d’un double live audio, avec consécration finale au Rose Bowl de Pasadena. Un album toutefois parfait pour capter, à son zénith et avant un déclin inévitable et rapide, tout l’esprit des années 80, dans ce qu’il avait de plus passionnant et innovateur, et aussi de plus surfait et crâneur. Bref, pratiquement un document historique, outre un plaisir évident. 


ROYAL CITY : NOUVEAU CHEF D'OEUVRE DE JEFF LEMIRE

Commençons donc ce blog (premier article issu du déjà rodé UniversComics), par une merveille. Vous avez déjà lu (et aimé) Essex County, oeuvre majeure et précoce du formidable Jeff Lemire? Si vous êtes plutôt fans de ce type de récit intimiste et qui place au centre de la scène des histoires profondément humaines, avec des rapports familiaux en plein délitement, Royal City est la lecture qu'il vous faut. Imaginez donc Essex County, compilé sous forme de graphic novel, devenir une série régulière à cadence mensuelle. Vous y êtes, c'est beau, c'est grand.
La famille Pike est le centre de gravité de ces cinq premiers épisodes. Tout démarre lorsque le père, Peter, fait une crise cardiaque en pleine nuit, alors qu'il vient de se disputer une énième fois avec sa femme, à cause d'un banal en-cas avalé à la sauvette. Fait particulièrement étrange, avant de défaillir, l'homme a perçu la voix de son fils Tommy, derrière les grésillements de l'une des vieilles radios qu'il aime tant bichonner. Patrick, le fils ainé romancier, et marié avec une star du cinéma (bien que cette union soit fort bancale...), retourne à Royal City pour aller au chevet de son père hospitalisé, dans le coma. Mais son troisième roman se fait attendre, il a besoin de l'argent des avances, pour un texte qui n'est pas écrit, et sa vie personnelle est en plein bouleversement. La situation est encore plus terrible pour Richie, le frangin, qui a sombré dans l'alcoolisme et les petits larcins, ou Tara, la soeur, dont le projet de rénovation de l'espace urbain de la ville se heurte au fait qu'il suppose le licenciement des ouvriers de la grande usine locale, là où son mari est contremaître. Quand à la mère, elle est devenue acariâtre, tranchante, et tente de dissimuler qu'elle a une relation avec un amant, de retour en ville. Royal City, un bled paumé en pleine décomposition, où les âmes se mettent au diapason de l'absence de perspective... Et chacun est régulièrement accompagné par Tommy, ou plutôt une version toute personnelle de Tommy


Petite détail d'importance, le Tommy en question, ou les "Tommy" en question, est en effet censé être...mort, noyé dans une rivière. Un drame qui a bouleversé la routine familiale, au point que personne n'en est sorti indemne, comme vous allez le lire et découvrir. Je cesse de faire durer le suspens et j'émets le verdict final : Royal City est un chef d'oeuvre, une merveille, tout simplement. Jeff Lemire revient vers ses premiers amours, ce qui a fait de lui le talent pur qu'il a ensuite affiné et perfectionné. Un drame intimiste, étrange, dérangeant, nostalgique, doux-amer. Le style graphique reste du Lemire, c'est à dire que le dessin est assez brut, vise à l'essentiel, et dans le même temps il est indéniable qu'aujourd'hui l'auteur canadien est capable de compositions remarquables d'intelligence, qu'il sait raconter une histoire avec une dextérité bluffante, aussi à l'aise avec le texte, qu'avec les images. J'ajouterais même, avec les non-dits, et les non-vus, qui enrichissent ce premier tome de Royal City. Ce fantôme qui hante le récit, c'est aussi l'excuse, le poids, qui ruine inéluctablement l'existence des membres de la famille Pike. Tous ont échoué à un moment donné, ou ont choisi de perpétrer un mensonge rassurant, qui va devoir s'effacer, pour que la vérité permette d'aller enfin de l'avant. Mais dans la douleur, avec courage. Le tout est raconté dans une ville en plaine perdition elle aussi, ancien fleuron du canada industriel, aujourd'hui condamnée à se réinventer en quelque chose d'autre, ou de mourir inéluctablement, étouffée par le chômage et l'ennui. Royal City, à travers les aquarelles émouvantes de Lemire, est le prolongement de la trajectoire de vies perdues, confuses, qui sont aussi, d'une certaine manière, celle de monsieur tout le monde, peut-être la votre, la mienne. Un grand bonhomme, un grand artiste, ce Jeff Lemire. 
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