vendredi 15 juin 2018

LE VENTRE DE PARIS : EMILE ZOLA FAIT RIPAILLE

Écrivain des plus redoutés voire rébarbatifs pour les pauvres (?) élèves de première, tout occupés à décrocher un Bac français à l'importance somme toute relative, Emile Zola est pourtant un des artistes majeurs de la littérature française, et vous allez souvent en entendre parler sur ces colonnes. Le Ventre de Paris, ça vous dit quelque chose? 
L’histoire est simple : Florent s’évade du bagne de Cayenne (où il était emprisonné injustement) et débarque à Paris chez son cousin le charcutier Quenu. Celui-ci est marié à Lisa, une jolie charcutière bien en chair, une des grandes figures des Halles de Paris, le quartier dans lequel se situe l’action de ce roman. C’est d’ailleurs le quartier même qui est le vrai protagoniste, ici. Les différents commerçants, les différents magasins, sa vie interne et ses nuances difficiles à comprendre pour le novice, tout cela est un nouveau monde que Florent, qui accède au poste d’inspecteur des Halles sous une fausse identité, va découvrir peu à peu, pour finalement succomber, vaincu par un monde qui le rejette et le condamne. Cette fois, Zola brosse un tableau sans concession des petits commerçants, de cette classe moyenne particulière qui s’engraisse et rêve tout bas de promotion sociale, sur fond de débauche alimentaire et de ripaille obscène.

A l’époque, le bon gros ventru, ou la femme bien en chair, c’est un symbole fort, celui du bourgeois, qui mène bien sa barque et a une vie quotidienne agréable. Le bas peuple, les ouvriers, sont malingres et souffrent la faim. On ne mange pas de viande chaque jour et on se serre la ceinture après y avoir fait de nouveaux crans. Mais dans le quartier des Halles, chaque jour, c’est une incroyable profusion alimentaire, un festin sans cesse renouvelé, qui est préparé ou apporté. C’est qu’il faut bien nourrir tout Paris, qui à l’époque est en train de devenir une métropole tentaculaire dont le nombre d’habitants, de bouches à remplir, est en constante augmentation. En bon chef de file du naturalisme, Zola joue avec maestria sur les poissons, les viandes, les noms de fromages, qu’ils orchestrent dans plusieurs pages mémorables, qu’on surnomme souvent avec ironie «la symphonie des fromages». Il passe tout cela en revue, avec force détails lyriques, car il est avant tout payé au mot lors d'une première publication dans la presse. 
Mais le vrai fond du livre, c’est comme toujours les rancoeurs et les bassesses du genre humain, les vengeances et les trahisons qui s’orchestrent, les désillusions politiques et les rêves mort nés. C’est Dallas en plein quartier des Halles. L’or noir y est remplacé par des quartiers de bœuf, mais c’est tout autant impitoyable. On se prend à vouloir, comme souvent chez Zola, humilier et donner une leçon à certains de ses personnages tant ils sont haïssables ; mais c’est ça la grande force de l’écrivain, celle d’enquêter sans concession sur les misères du genre humain. Pour information, Lisa la charcutière voluptueuse, est une des filles Macquart, la sœur de Gervaise que nous retrouverons un jour prochain dans l’excellent L’assommoir. Tous ceux qui croient aux secondes chances devraient lire ce roman indispensable ; ne serait-ce que parce qu’il est probable qu’il finisse par leur faire changer d’avis !


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