L'homme n'est pas une bête dénuée de tout sentiment, il rêve lui aussi qu'il rencontre un beau jour la femme tant attendue, sans la connaître. Cela peut se produire un peu n'importe où, n'importe quand, et plus surement sans crier gare, à l'endroit et à l'instant le plus improbable. Dans la file d'attente, le dimanche au matin à la boulangerie, ou à l'arrêt de bus, le jour même de la trentième grève des trains de l'année, par une belle ondée printanière de mai.
Elle se tient là, perchée sur de hautes jambes interminables et pourtant adorablement galbées par de régulières séances de cardio-gym et de zoumba, après ses heures de travail à l'école élémentaire du quartier, ou par les longues après-midi passées à arpenter les couloirs de la bibliothèque à réorganiser les rayonnages, pris d'assaut par un public avide de culture et friand de littérature austro-hongroise. Ce sont ces fesses-là que l'homme se sent enfin capable de pétrir et de flatter pour le reste de sa vie sexuelle. Il est en cet instant pénétré de cette révélation implicite qui le bouleverse : cette créature délicieuse, cette apparition sublime et inconnue, sera celle en qui il défouraillera allègrement jusqu'à en concevoir une progéniture sanctifiée, perpétuant ainsi la noblesse de sa lignée. C'est dans cette bouche-là, entre ces lèvres tremblantes d'émotion là, quand elles répondent à son sourire, qu'il se soulagera à en perdre la raison. Ou sur cette opulente poitrine là, où en écartant fébrilement la chevelure soyeuse imprégnée de la transpiration nocturne, il déposera dorénavant le tendre baiser du réveil et (les jours de chance) la semence visqueuse de sa queue au garde-à-vous aux aurores. Le coup de foudre, bête et méchant.
La Femme, et on pourrait presque entendre le bruit sourd de la majuscule qui prend sa place en tête de mot et sacralise cette étrangère, pour qui tout à coup l'homme (minuscule de rigueur, le voici réduit à un simple esclave soumis aux caprices d'une poignée de phéromones) se découvre des sentiments. Car oui, les sentiments ne sont pas l'apanage du genre féminin, la masculinité également n'échappe pas à cette connerie dramatique, qui sert ensuite à justifier les pires turpitudes, les plus infâmes renoncements. Le cliquetis des chaînes, dans ces premiers instants là, est magiquement perçu comme le chant angélique des lendemains heureux. Le coup de foudre, lorsqu'il est métaphorique, est lent et à retardement. L'éclair nous lacère l'âme et l'esprit, mais le tonnerre ne gronde que bien plus tard, à cendres refroidies, et son écho résonne périlleusement et sourdement, des mois ou des années après l'inéluctable promesse, au passage d'un joli cul moulé dans une jupe un peu trop serrée.
Le dessin qui illustre l'article est l'oeuvre du grand Milo Manara
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire