jeudi 27 janvier 2022

E NOI COME STRONZI RIMANEMMO A GUARDARE

 🎬 E noi come stronzi rimanemmo a guardare (de Pierfrancesco Diliberto)

Déroute sentimentale et professionnelle pour Arturo (Fabio de Luigi). Un simple test sur une application de matching et sa compagne le quitte. Un simple algorithme pour améliorer la productivité de son entreprise, et le voici licencié. Dans un futur pas si lointain, ces mêmes algorithmes sont au cœur de toute l'organisation sociale; ils peuvent décider de votre existence, de vos relations, de votre capacité tout simplement à connaître le bonheur ou le désespoir. Pif (Pierfrancesco Diliberto), une sorte de poète/journaliste/réalisateur faussement naïf et lunaire, s'attaque cette fois à l'ultra numérisation et uberisation du monde contemporain. Bref, sa déshumanisation. Du moins c'est ce qu'il semble dans un premier temps, quand le film prend des allures d'avatar italien du cinéma de Ken Loach. Arturo perd une situation enviable puis est recruté en tant que coursier à bicyclette, pour faire des livraisons. Mais nous sommes ici dans un film transalpin et malheureusement, très vite le récit développe une histoire sentimentale aussi plate que convenue. Le protagoniste malgré lui a recours a un hologramme virtuel, une sorte d'amie idéale, pour affronter les moments solitaire de la vie et remonter la pente bien raide. L'application propose une période d'essai et on devine d'emblée qu'au terme de celle-ci la séparation assumera la forme d'un sevrage impossible. Ou d'une romance low cost. Indéniablement on trouve de bonnes idées dans ce long-métrage, mais le rythme particulièrement plat,  l'absence quasi totale d'éclat de génie le rend aussi gris et stérile que le système qu'il est censé dénoncer. S'il est juste sur le fond (et d'ailleurs la dernière scène est exemplaire de ce que nous vivons aujourd'hui) la forme incite à la somnolence; la consommation d'un double ristretto avant d'entamer le film est conseillée, pour ne pas piquer de la tête. On préférera, et de loin, certains épisodes de la série Black mirror, plutôt que ce mélo social et technologique, qui sans passer radicalement à côté de son sujet, ne se hisse toutefois jamais à sa hauteur.




mercredi 26 janvier 2022

OUISTREHAM (Le film, de Emmanuel Carrère)

🎬 Ouistreham (de Emmanuel Carrère) 

Ouistreham, film de contrastes aux contours incertains. Emmanuel Carrère réalise son second long métrage en portant au grand écran le livre de Florence Aubenas, dont il réduit le titre à sa plus simple expression. Pour rappel, la "célèbre" journaliste rend hommage aux agent(e)s d'entretien, aux petites mains qui s'accrochent pour survivre, d'un contrat précaire à l'autre, dans un bled paumé et défavorisé de la Normandie. Un bassin déserté par l'emploi, où elle s'invente une vie , l'espace de quelques mois, pour coller au plus près de son sujet, y insuffler un accent de vérité. Forcément, une telle expérience permet aussi de tisser du lien, de se faire des amis parmi les compagnons d'infortune croisés au détour d'un cdd à l'arrache. Sauf que ce lien repose alors sur une fiction, et c'est ce point qui est retenu par Carrère, ce jeu permanent entre identité fictive en souffrance, et véritable "moi" à l'abri du besoin, écrivain "en mission", avec la possibilité d'une exfiltration immédiate en cas de fiasco ou de renoncement. Bref, la vie des plus démunis, des plus fragiles, avec un portefeuille, un nom et une situation comme triple jokers, au service du journalisme, de l'écriture du social. Carrère colle d'assez près au livre durant la première partie, puis se lance à l'assaut du Mont Mélodrame dans la seconde, touchant parfois au but, rechutant de plus belle ailleurs, en esthétisant (une bande son un poil insistant et élégiaque) et en romançant à la louche. C'est d'ailleurs fascinant de voir se déployer ce double mensonge. Celui de Juliette Binoche qui s'invente une existence pour le besoin de son vrai travail, sans jamais pouvoir appréhender pleinement ce qu'elle découvre (elle le voit, elle en perçoit les contours, la forme, mais ne pourra jamais en ressentir la pesanteur), mais aussi celui du réalisateur, qui s'empare de ces portraits biaisés pour traiter un sujet dont il ne connaît rien à son tour (lui aussi est d'un milieu socio-culturel si différent qu'on touche au safari misérabiliste). Au final, Ouistreham n'ennuie pas le spectateur, il est même beau par endroits, mais il suffit de gratter la surface des vraies fausses bonnes intentions du film pour qu'apparaissent une seconde peau, réellement condescendante, voire indécente, où la précarité est mise en scène comme un lion dans un zoo, quand le sujet est la majestuosité des grands fauves. Le quai de Ouistreham, de Florence Aubenas, est au moins bien plus humble, et bien moins "fake".




mercredi 19 janvier 2022

THE CARD COUNTER

 🎬 The card counter (de Paul Schrader)

Oscar Isaac est un joueur de cartes professionnel. Il écume les casinos de la côte ouest, et applique son crédo, jouer et gagner, en toute discrétion, sans jamais flamber. Sa vie toute entière est réglée de la sorte, à l'écart de l'agitation, sans la moindre activité sociale. Son passé est ombrageux, voire orageux. Presque dix ans de prison militaire, pour avoir torturé des prisonniers de guerre, et s'être fait prendra la main dans le sac, c'est à dire en photo. Les vrais responsables, ceux qui donnaient les ordres, formaient les recrues, ont bien entendu échappé aux gouttes, quand vint la pluie. Cette froide routine va changer quand notre joueur rencontre un jeune paumé dont le père lui aussi a commis ces mêmes tortures, pour ensuite se suicider, et une sorte de "manager" qui gère une écurie de joueurs, et souhaite l'engager pour le pousser à miser (et gagner gros). Le film de Paul Schrader est élégant, lent, doté d'une esthétique soignée, rigoureuse. La rédemption, le pardon, sont cachés dans les marges, et on se demande s'ils finiront par en sortir, pour un final bouleversant et solaire, ou au contraire si la pénombre les dévorera définitivement, droit vers l'enfer, sans retour possible. C'est tout l'enjeu de ces deux heures où une tension élégante, une sourde menace, maintiennent le spectateur comme hypnotisé, devant l'écran comme à la table de jeu. Le réalisateur abat enfin ses cartes dans la toute dernière partie, mais c'est à vous de miser sur ce Card Counter si vous entendez connaître le fin mot de l'histoire.