mercredi 26 janvier 2022

OUISTREHAM (Le film, de Emmanuel Carrère)

🎬 Ouistreham (de Emmanuel Carrère) 

Ouistreham, film de contrastes aux contours incertains. Emmanuel Carrère réalise son second long métrage en portant au grand écran le livre de Florence Aubenas, dont il réduit le titre à sa plus simple expression. Pour rappel, la "célèbre" journaliste rend hommage aux agent(e)s d'entretien, aux petites mains qui s'accrochent pour survivre, d'un contrat précaire à l'autre, dans un bled paumé et défavorisé de la Normandie. Un bassin déserté par l'emploi, où elle s'invente une vie , l'espace de quelques mois, pour coller au plus près de son sujet, y insuffler un accent de vérité. Forcément, une telle expérience permet aussi de tisser du lien, de se faire des amis parmi les compagnons d'infortune croisés au détour d'un cdd à l'arrache. Sauf que ce lien repose alors sur une fiction, et c'est ce point qui est retenu par Carrère, ce jeu permanent entre identité fictive en souffrance, et véritable "moi" à l'abri du besoin, écrivain "en mission", avec la possibilité d'une exfiltration immédiate en cas de fiasco ou de renoncement. Bref, la vie des plus démunis, des plus fragiles, avec un portefeuille, un nom et une situation comme triple jokers, au service du journalisme, de l'écriture du social. Carrère colle d'assez près au livre durant la première partie, puis se lance à l'assaut du Mont Mélodrame dans la seconde, touchant parfois au but, rechutant de plus belle ailleurs, en esthétisant (une bande son un poil insistant et élégiaque) et en romançant à la louche. C'est d'ailleurs fascinant de voir se déployer ce double mensonge. Celui de Juliette Binoche qui s'invente une existence pour le besoin de son vrai travail, sans jamais pouvoir appréhender pleinement ce qu'elle découvre (elle le voit, elle en perçoit les contours, la forme, mais ne pourra jamais en ressentir la pesanteur), mais aussi celui du réalisateur, qui s'empare de ces portraits biaisés pour traiter un sujet dont il ne connaît rien à son tour (lui aussi est d'un milieu socio-culturel si différent qu'on touche au safari misérabiliste). Au final, Ouistreham n'ennuie pas le spectateur, il est même beau par endroits, mais il suffit de gratter la surface des vraies fausses bonnes intentions du film pour qu'apparaissent une seconde peau, réellement condescendante, voire indécente, où la précarité est mise en scène comme un lion dans un zoo, quand le sujet est la majestuosité des grands fauves. Le quai de Ouistreham, de Florence Aubenas, est au moins bien plus humble, et bien moins "fake".




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