lundi 29 avril 2024

PAS DE VAGUES (de Teddy Lussi-Modeste)

Pas de vagues (de Teddy Lussi-Modeste)


Convaincu que se faire du mal, c'est aussi peut-être (au bout d'un moment) se faire du bien, je suis allé voir le 373-ème film mettant en scène un enseignant ou une communauté scolaire au cinéma, en 2024. Pas de vagues, un titre un peu facile, puisque c'est désormais le mantra officiel de la grande majorité des principaux et proviseurs de France. François Civil troque la tenue de mousquetaire pour celle beaucoup moins glamour et héroïque de prof de banlieue et il aurait mieux fait de s'abstenir. C'est qu'il est accusé par une jeune adolescente un peu paumée de comportements déplacés, comme s'il s'agissait d'un Gérard Depardieu quelconque, lâché au milieu d'un troupeau d'élèves innocentes. C'est d'autant plus absurde que le prof qu'il interprète est gay, mais ça, personne n'est censé le savoir au départ, et il n'est pas certain que ça puisse jouer en sa faveur tant dans certains quartiers, l'homosexualité et la perversion sont deux concepts qu'on associe sous forme de raccourci salafiste. En réalité, le film est intéressant lorsqu'il s'attaque à la manière dont est sanctuarisée la parole de la victime, dont la hiérarchie finit immanquablement par lâcher et abandonner en pleine campagne le professeur accusé, et lorsque celui-ci ne peut que partir en vrille, au bout d'un moment. On regrettera par contre le portrait un peu naïf que compose Civil, en endossant les habits de l'enseignant idéaliste qui s'embarque dans des projets foireux et une connivence délétère, qu'il vaut mieux toujours éviter avec des gamins de cet âge. D'autant plus qu'une fois encore, c'est le côté obscur de l'éducation qui est mis en avant : celui composé de ces établissements où plus grand monde ne souhaite travailler, peuplés d'élèves que Gabriel Attal ne tardera pas à enfermer à double tour dans ses nouvelles maisons de correction éducatives, qu'il déguise habillement en camp de vacances pour cancres volontaires. Conséquence de tout cela, on hésite entre lui dire que quelque part il l'a bien cherché et l'indignation devant cette lâcheté si réaliste, que j'ai pu moi-même toucher du doigt à plusieurs reprises dans ma carrière. Mention spéciale pour l'essentiel des gamins à l'écran, qui se comportent en effet exactement comme se comportent des collégiens à qui on n'imposerait pas un cadre strict et bien défini. En gros, si tu tournes le dos et penses devenir leur meilleur pote, attends-toi à connaître les flammes de l'enfer. Pas de vagues reste un film à voir, dérangeant, imparfait, tête à claques mais pas si bête ou grossier. Si vous souhaitez changer le monde (bonne idée) ou le sauver (terrible ingénuité), sachez qu'il existe de bien meilleures solutions, beaucoup plus efficaces, que de devenir prof; à moins que vous n'ayez déjà plus le choix, ça va de soi.


 

mardi 23 avril 2024

CIVIL WAR (De Alex Garland)

 Civil War (de Alex Garland)


La guerre civile de Garland n'est pas là pour vous proposer un traité de politique concrète ni asséner de lourdes leçons sur quel camp choisir. Tout juste nous laisse-t-elle à entendre que ce président américain, engagé dans un troisième mandat, est un type autoritaire dont le piédestal s'est effondré, dont les jours sont comptés. L'Amérique se déchire à nouveau, pour de bon, et c'est à travers les yeux d'une troupe de photographes que nous allons assister à la succession des événements. Télescopage par ailleurs fort intelligent et diablement bien agencé de micro récits qui révèlent toute la vanité et la cruauté de la macro histoire. Lee (Kirsten Dunst) et Joël (Wagner Moura) embarquent avec eux un collègue usé et pratiquement impotent, ainsi que la jeune Jessie, qui rêve de marcher dans les pas de ses aînés et qui va découvrir peu à peu ce que signifie porter un regard sur les choses, sans se laisser dévorer. D'ailleurs, Civil War est plus un film qui interroge le sens même du journalisme aujourd'hui, la nécessité de rendre un travail esthétique et à quel point cette mise en scène est nécessaire pour qu'elle exprime quelque chose, pour que son témoignage soit suffisamment puissant et pertinent, au point de faire bouger les lignes et les consciences. Et si tout ceci, au final, n'était qu'un sophisme tragique, qui confine au voyeurisme ? Le film va jusqu'au bout de ses idées, jusqu'à pénétrer au sein de la maison Blanche, pour un final qui n'est pas sans rappeler le destin d'autres dictateurs ayant connu un sort tragique, comme cet inénarrable lourdaud italien pendu par les pieds, ou l'autre dingo allemand qui a choisi le suicide. Comme toujours avec Garland, l'image est cliniquement soignée, le rythme parfaitement maîtrisé et il règne une beauté froide évidente dans cette Amérique qui s'effondre, régulièrement accompagnée d'une bande-son originale déroutante mais fascinante. Un film, qui plus est, qui fait écho à une actualité brûlante, une sorte de miroir déformant des sociétés occidentales, dont l'ennemi est déjà souvent niché bien au chaud, à l'intérieur. Ne reste plus qu'à regarder et photographier le grand embrasement.



samedi 13 avril 2024

SIDONIE AU JAPON (de Élise Girard)

 Sidonie au Japon (de Élise Girard)


Comme tout le monde, il peut m'arriver de me comporter comme un imbécile, c'est-à-dire d'écouter les bonnes critiques des traditionnels médias "qui sachent mieux que quiconque " et de me fier à ces plumes qui ont pourtant démontré un asservissement stipendié évident ces dernières années. Néanmoins, je suis allé voir Sidonie au Japon, l'histoire d'une autrice qui se rend au pays du soleil levant pour une tournée de dédicaces de son plus grand best-seller, mais qui n'a toujours pas à tourné la page au sujet de son mari décédé, au point qu'elle le voit régulièrement apparaître sous la forme d'un fantôme, dans sa chambre d'hôtel. Sur place, elle est accueillie par son éditeur nippon et il faut entre 30 et 40 secondes au spectateur pour comprendre qu'à la fin du film, ils seront ensemble, dans le même lit. Je m'arrête là car je n'ai pas envie de faire d'efforts particuliers pour vous parler de quelque chose qui ne le mérite pas. Sachez juste qu'il s'agit probablement du record mondial de clichés et de lieux communs empilés en 90 minutes. Aussi bien le scénario et les dialogues d'une platitude absolue, que l'imagerie projetée du Japon (on y apprend que les rapports sociaux sont différents de ceux en vigueur en Europe et que les cerisiers peuvent y être en fleurs, extraordinaire !) tout ressemble à ce qu'on pourrait obtenir en insérant deux trois lignes de code dans Chat GPT, en lui demandant un film qui parle du Japon, du deuil et de l'amour. Télérama, Libération, le Monde s'empressent de parler de Isabelle Huppert drolatique (adjectif qui ne veut rien dire et dont il faut se méfier par principe. Ça ou lunaire , par exemple) et touchante, alors que la seule réalité, le seul ressenti qui suinte de ce film est un et un seul : que c'est chiant !



mercredi 3 avril 2024

DRIVE-AWAY DOLLS (de Ethan Coen)

 Drive-Away Dolls (de Ethan Coen)


Le plus simple, c'est d'aller voir ce qu'en disent les grands médias qui ont toujours une formule tout prête pour résumer les choses et gagner du temps. Le film de Ethan Coen serait donc un road trip déjanté et queer. Je ne sais même pas s'il est possible d'écrire l'adjectif "lesbienne" sans subir les foudres de la censure sur les réseaux sociaux aujourd'hui : il faut vraiment avancer avec une prudence extrême, même pour signifier l'évidence. En fait, il n'y a pas grand-chose à dire sur ce film si ce n'est que c'est globalement une histoire typique de celles qu'écrivent les deux frères terribles en temps normal, quand ils fonctionnent de concert. Des personnages loufoques, des situations absurdes ou grotesques, des ennuis qui pleuvent à n'en plus finir, sauf que là où d'habitude les personnages principaux sont avant tout masculins, nous avons ici un univers de filles qui aiment les filles, dépeint de manière d'ailleurs assez caricaturale, à travers les deux personnages principaux que tout oppose. La délurée (Margaret Qualley, insupportable), adepte "du plusieurs coups d'un soir" et au contraire, la copine rigide (Geraldine Wismanathan), qui elle a beaucoup moins de chance de se laisser emporter dans la luxure de sa compagne d'aventure. Sans le savoir, les voici au volant d'un véhicule qui contient dans son coffre la tête de Pedro Pascal arrachée lors de la première scène du film (sans que cela fasse vraiment sens, par ailleurs) mais aussi une mallette truffée d'objets assez singuliers, dont je tairais la nature pour ne pas vous gâcher la surprise. Alors ce n'est pas que Drive-Away Dolls soit mauvais, c'est juste que cette assemblage en apparence iconoclaste et provocateur finit par ressembler à une blague un peu lourde. Par moments, on sourit très franchement, d'autres fois on est juste embarrassés par quelques scènes et des effets de manche qui voudraient peut-être choquer le bourgeois mais qui en fait ne font que flirter avec l'inanité. Une moitié des Coen à la réalisation pour ce qui est une demi-réussite, c'est assez logique, finalement.



mardi 2 avril 2024

DUNE SECONDE PARTIE (de Denis Villeneuve)

 Dune (seconde partie) de Denis Villeneuve


Il existe un public à qui on peut sincèrement recommander d'aller voir le Dune de Denis Villeneuve, tout spécialement le second volet. Ce sont tous ceux qui pensent (et il y en a encore beaucoup) que la science-fiction n'est qu'un ramassis de textes illisibles pour un lectorat illettré. La science-fiction, quand elle est inspirée et inspirante, c'est surtout un commentaire sur notre actualité sociale et politique, une manière de mettre en perspective ce que nous vivons, d'en transporter les enjeux et les faits à un autre niveau apparent, pour mieux les souligner. Dune, ce n'est pas que de la science-fiction, c'est aussi une approche particulièrement crédible et édifiante de la manière dont la théologie et la politique s'imbriquent dangereusement. De comment le fanatisme ou la foi, tout simplement, peuvent soulever des montagnes et aveugler des peuples. Il est aussi question du pouvoir que confère la main mise sur des ressources indispensables au bon fonctionnement du monde, sans oublier les sempiternelles trahisons familiales et la manière dont les rapports sentimentaux et physiques peuvent aiguiller les décisions des grands de ce monde. Le tout filmé dans des tons crépusculaires et sablonneux, qui rendent un hommage extrêmement réussi aux romans de Frank Herbert, et vous comprendrez que mon opinion sur ce que j'ai vu sur grand écran, les deux fois, est hautement positive. Pour les plus distraits d'entre vous : si vous avez bien regardé la fin de ce diptyque (pour le moment) et compris la façon dont évolue le personnage de Paul Atreides, interprété par Timothée Chalamet, j'espère que vous aurez aussi saisi que le petit piédestal sur lequel il semblait avoir été érigé ne va pas tarder à se fendre. Et que lorsqu'on chasse un despote, c'est bien souvent pour en mettre un autre de la même espèce, voire pire, un messie à la place. Frank Herbert, un visionnaire.