vendredi 12 juillet 2024

LES GENS D'À CÔTÉ (D'André Téchiné)

 Les gens d'à côté (d'André Téchiné)


Ne serait-ce que par paresse, je me contenterai d'un copier-coller pour présenter la manière dont la presse (étrangement favorable) décrit ce film : un drame social, politique et intime qui "explore une France fracturée". Social et politique car Isabelle Huppert y incarne une flic en fin de carrière, passablement amère depuis que son collègue et compagnon s'est suicidé. Les nouveaux jeunes voisins qui débarquent à côté de chez elle présentent un profil fort différent : lui est un activiste black bloc qui fréquente les mouvements sociaux pour aller casser des forces de l'ordre, elle est une mère un peu esseulée qui doit mettre le charbon dans la locomotive. Le couple a une charmante gamine qui a probablement besoin d'un peu plus d'attention. Tout ce joli monde finit par sympathiser autour de fréquents repas, mais bien entendu, celle qui incarne la police s'est prudemment gardée d'informer ses convives de sa véritable profession. Sauf que tôt ou tard, il faudra bien cracher le morceau, d'autant plus que le voisin semble traverser une nouvelle crise d'illumination activiste et qu'il risque de se mettre dans un sacré pétrin. Cela dit, il y a pire encore : abonder en son sens, donner un coup de main imprudent, au risque de perdre tout le bénéfice d'une longue carrière. Par amitié. Parce qu'on se sent seul. Je vais être honnête avec vous, toute cette histoire ne tient pas trop debout, et comme les acteurs n'ont pas l'air très inspirés et convaincants, on finit par s'ennuyer assez vite. La bonne nouvelle, c'est que le film est bref, moins d'une heure trente. Téchiné est désormais un réalisateur qui radote, qui comme toutes les personnes du troisième âge a perdu le fil de la réalité quotidienne et la réinvente à sa façon, à coups de caricatures et de situations assez improbables. Ce n'est clairement pas son meilleur film, probablement pas non plus son pire, mais assurément un de ceux qu'on peut qualifier de plus anonymes.



vendredi 5 juillet 2024

POURQUOI TU SOURIS ?

 Pourquoi tu souris ? (de Christine Paillard et Chad Chenouga)

Rien de bien complexe et surtout rien de bien nouveau avec "Pourquoi tu souris ?", une des comédies à l'affiche cet été, histoire d'oublier la morosité de l'actualité, le temps d'une séance dans une salle climatisée. En têtes de gondole, deux cabossés de la vie, deux marginaux (Jean-Pascal Zadi et Raphaël Quenard) qui essaient de s'en sortir tant bien que mal, jusqu'à leur rencontre avec la bénévole d'une association qui vient en aide au plus démunis (Emmanuelle Devos). Les sans-abri profitent de sa naïveté et de sa gentillesse pour se remettre d'aplomb et obtenir un toit provisoire. Bien entendu, comme les deux compères ont aussi un grand cœur, le trio dysfonctionnel va finir par devenir plus fort que la somme de ses parties, au travers d'une série de situations cocasses, parfois vraiment hilarantes, toujours plus que borderline. Si le but d'une comédie, c'est de nous faire rire, l'objectif est atteint : Zadi en escort boy ou avec son accent africain frelaté,  histoire de susciter la compassion et de faire croire qu'il est sans papier, étant une des clés de l'ensemble. Quenard est très bon également, mais toujours sur le même registre. On admirera la prise de risque au moment du casting…  Pourquoi tu souris ? tient debout grâce à la force de conviction des acteurs, au fait que les dialogues sont bien écrits et que on ne s'ennuie jamais, le rythme restant soutenu d'un bout à l'autre, malgré quelques menaces de noyade dans la mélasse qui heureusement ne survient pas, quand on aborde la dernière partie et la nécessité fonctionnelle d'une happy end. On parle aussi un peu partout dans la presse de film social et politique; c'est en partie vrai, mais il n'y a pas de leçon assénée avec lourdeur, ni de nécessité de placer le spectateur devant un produit cathartique, qui lui donne l'impression d'être meilleur et plus intègre que le voisin aux idées différentes : ça reste avant tout une comédie, ça reste principalement un divertissement honnête. Ouf.



mercredi 3 juillet 2024

SE DESISTER POUR (ENCORE) EXISTER

 15 jours ont suffi pour que ceux qui dénonçaient un "pacte de la honte" finissent par envisager de s'allier avec leurs ennemis et se désister en leur faveur.

15 jours ont suffi pour que la gauche oublie les pompiers, les enseignants, les infirmières, tous tabassés en manifestation, les éborgnés, les 49-3 en rafale, la privation des libertés individuelles fondamentales, la mise en scène de l'obscénité au quotidien.

Car en face, il y a Satan.

Nous y revoici. Le grand chantage qui caractérise à sens unique toutes les élections en France, quel que soit le scrutin, depuis maintenant des décennies. Un premier tour où on laisse les gens apparemment s'exprimer, un second tour où on plante l'épouvantail au milieu du champ et on somme la population d'aller voter pour ceux que clairement, elle ne souhaite pas.

Moi je suis un (faux) naïf : je pensais que perdre est une hypothèse lorsqu'on s'engage dans un processus comme une élection, qu'il n'y a pas de déshonneur à être battu; mais il y en a à ne pas tenter de s'améliorer, de proposer mieux pour reprendre la main ensuite. Rappelez-vous ce que je vous disais hier au sujet du gros gâteau à partager. Depuis lundi matin, c'est la panique : on compte les parts et les convives et on se rend compte que tout le monde n'aura pas de dessert. La démocratie est probablement en danger, mais ce qui est en danger, à coup sûr, c'est la carrière de ces intrigants, ces opportunistes, qui avaient déjà l'eau à la bouche et qui apprennent qu'ils vont être punis. Au dodo et pas de gâteau.

En face, le vide sidéral des idées, une peste brune qui n'en croit pas ses yeux. Encore un cadeau parfait pour 2027, une énième démonstration que leur rhétorique populiste fonctionne, puisque effectivement concrétisée dans les faits.

La médiocrité, le clientélisme, la vision à court terme, Macron. Le RN n'en demandait pas tant.



TOUS DES FACHOS ? ANECDOTE

 Tous des fachos, alors?

Je vais vous raconter une anecdote d'enfance. Pas de misérabilisme ou de romance nostalgique, j'essaie de m'en tenir aux faits, sans les juger.

J'ai grandi dans un contexte économiquement fragile, pour être pudique. Ma mère (qui lira ces lignes et pourra confirmer) ne parvenait pas à boucler les fins de mois (qui pouvaient advenir bien plus tôt que l'arrivée du salaire paternel). Bref, pour faire les courses à la supérette Coop du Moulin de Tous-Vents, nous avions un crédit à discrétion des gérants. Qui notaient sur un bout de papier l'étendue de la dette, à régler dès l'arrivée du salaire. Un cercle vicieux mais indispensable pour les commissions. Parfois, ma mère m'envoyait faire les courses, aussi parce qu'elle savait que la dette commençait à augmenter dangereusement, et un enfant, c'est plus attendrissant au passage en caisse. Ce que je comprends parfaitement, aujourd'hui. Sauf que je me suis fait refouler plusieurs fois. On m'a aussi vertement fait la leçon, devant les autres clients, à moi, le gamin de dix-douze ans. Ou pire, je m'en souviens parfaitement : un jour, la caissière (qui elle -même ne devait pas disposer d'un capital colossal en banque…) s'est permis de faire le tri dans les achats, en me disant que "ça oui, c'est indispensable, ça non, vous n'avez qu'à vous en passer". La violence, la vraie, ce n'est pas une vitrine brisée, c'est tenir ce genre de propos à un gamin de sixième qui appartient à une famille pour qui faire les courses le 20 du mois est quasi impossible.

La montée du RN en France, ce n'est pas que "boutons les arabes hors de nos belles frontières" : c'est cela, le grand problème irrésolu. Cette France qui n'intéresse personne, aucun de nos responsables politiques, sauf lorsqu'il y a un bulletin de vote à glisser dans l'urne, et un poste de député en jeu, avec tous les avantages et les privilèges rattachés à la charge. C'est une caste politique qui se sert des citoyens alors qu'elle devrait se mettre à leur service. C'est une gauche qui s'est lentement mais inexorablement ouvert au monde fantastique de l'économie de marché débridée, qui pense que la défense des droits des transsexuels ou des non-binaires (ne lisez pas de travers, je suis pour l'égalité entre tous les citoyens, et convaincu que le sujet mérite qu'on monte au créneau) est plus prégnante que celle de l'ouvrier payé au smic et condamné à vivre dans un deux pièces à cinquante piges et subir l'inflation. Qui pense que la Palestine Libre et Unie vaut mieux que la justice sociale dans le Pas-de-Calais ou la Picardie (oui, le conflit au Moyen-Orient est une abomination. Mais c'est un piège politique qu'on vous a tendu et dans lequel vous avez sauté à pieds-joints, par pure opportunisme électoraliste). Le vote RN n'a pas besoin qu'on l'excuse. Peut-on excuser des nostalgiques pétainistes ou des racistes qui trient les hommes sur leur couleur de peau ? Mais le vote RN s'explique, il s'analyse. Et surtout, il a des coupables. Macron et la génération de jeunes chacals qui ont tout détruit en sept ans, une gauche nombriliste et moralisatrice qui a trahi tous ses idéaux depuis les années 1980, des écologistes (pour qui j'aurais normalement tendance à voter) qui se sont soumis aux délires féminolâtres et totalitaires d'une frange de joyeux idiots utiles de la politique…

Superposez la carte de la misère sociale et celle du vote RN et vous comprendrez que le barrage au RN, dont tout le monde se remplit la bouche ce matin, n'est que la énième pitrerie d'une caste affolée à l'idée qu'on vienne lui prendre le gâteau dont elle se réserve les meilleures parts, depuis des décennies (PS, LR...). Les nouveaux venus, eux, ne sont pas des gourmets qui ont faim, juste des porcs qui veulent bâffrer les mêmes pitances, dans les mêmes plats.

Quand on a faim, quand on est en colère, quand on a froid, et qu'en plus, assez souvent, on est totalement inculte, on vote RN, et c'est le plus évident du monde. Le grand défi, la vraie opposition, c'est d'apaiser, de nourrir, de réchauffer, d'éduquer. Bref, de se mettre au service des gens, ces mêmes-gens (comme Mélenchon les appelle souvent, par erreur, avec condescendance) qui ne sont que des pions au service de misérables carrières, d'élus juste bons à être entretenus grassement, à coups de bulletins dans l'urne. Car "the show must go on", tant qu'on ne débranche pas la prise.