Non, la gauche n'a pas gagné les élections législatives. Et pour cause, il faut cesser de croire qu'il existe "la gauche".
La division de l'échiquier politique en partis est dépassée depuis bien longtemps. Il n'existe plus que deux camps différents. Le premier, le plus large, celui qui gouverne depuis des décennies, c'est le camp du néolibéralisme, de l'européisme. Qui considère que le marché, le profit, l'Europe telle qu'elle est structurée aujourd'hui, constituent des dogmes qui ne peuvent être contournés. On y trouve la droite classique, le prétendu centre macroniste, une bonne partie des socialistes et même l'extrême droite, qui s’est normalisée en grande partie et qui aujourd'hui propose les mêmes recettes, se révèle parfaitement compatible avec les desideratas du patronat. Ces gens-là sont assis à la même table depuis longtemps et peuvent festoyer sans être dérangés. Hollande, Sarkozy, Macron, Chirac, ce n'est pas toujours le même qui préside la table mais tout finit plus ou moins dans les mêmes estomacs. Michel Barnier prépare les plats en cuisine depuis 5 décennies. Il subsiste encore des différences entre ces gens-là mais elles sont d'ordre sociétal. Par exemple, la manière de considérer le mariage ou l'adoption pour les homosexuels, les quotas concernant l'immigration… ce sont les variables d'ajustement qui permettent de faire croire que la pièce de théâtre qu'ils représentent est crédible et ouverte à tous les possibles. Mais le final est le même chaque soir et le public continue d'applaudir. Pour filer la métaphore culinaire, ce sont toujours les mêmes plats qui mijotent, avec plus ou moins de sel ou de poivre.
En face, nous trouvons ceux qui proposent une politique de rupture, c'est-à-dire qui considèrent que le néolibéralisme amène plus de souffrance que de bénéfices à la société et que l'Europe telle qu'elle est constituée doit être profondément révisée, voire même pour les plus virulents, qu'il faut la quitter. Ces gens-là sont minoritaires dans le pays, ils sont essentiellement représentés par la France insoumise, les micro partis de l'extrême gauche, des écolos et un faible pourcentage des socialistes.
Nous en arrivons au péché originel : le NFP n'avait absolument aucune raison d'être. Il s'agissait d'une alliance incohérente destinée avant tout à combattre un ennemi commun, mais qui n'avait aucune possibilité de gouverner, même en cas de majorité absolue, car au moment de voter les grandes orientations de l'État, comment fondre en un seul élan les ambitions d'un Glucksmann ou d'un Mélenchon ? Il faut voir dans ces 50 jours sans gouvernement et la valse des possibles candidats uniquement des jeux d'intérêt personnels. Le camp d'en face a les yeux rivés sur 2027 et sur une bataille d'égos, pour savoir qui mangera les meilleurs morceaux, mais il est bien clair depuis le départ qu'au moment de répartir les places à table, ces gros gourmands trouveront très facilement un moyen de se garantir les chaises et les couverts de choix. La seule nouvelle importante finalement, c'est que le Rassemblement National fait désormais officiellement partie des convives. On sait que le repas sera interrompu par des blagues grivoises et qu'il mettra trop souvent les coudes sur la table, mais peu importe, il a désormais son rond de serviette.
Reste à écrire le final de cette histoire. Peut-on parler réellement de coup d'état ? Absolument pas. Nous pouvons dire ce que nous voulons de notre Empereur Macron Premier mais il a parfaitement intégré le délitement de la scène politique en France et la docilité de la population, et il joue crânement sa partie, d'autant plus facilement qu'on lui laisse réécrire les règles à chaque fois qu'il est sur le point de la perdre. Sortir par le haut, c'est-à-dire par les urnes, est utopique, nous venons encore de le constater. L'invention du Grand épouvantail RN permet désormais d'orienter les scrutins de manière à ce que la pièce retombe toujours du bon côté. Il ne reste qu'une seule solution pour ceux qui considèrent que la partie actuelle est délétère : un soulèvement populaire. C'est donc au peuple souverain, comme toujours dans l'histoire, que revient la décision finale. Docilité, résignation, colère, désespoir, enthousiasme, revanche, que les Français choisissent. L'heure est venue pour chacun de préparer son lit et de s’y coucher. Bonne nuit. Ou pas.
