lundi 24 novembre 2025

U2 : ACHTUNG BABY

 Avant de devenir le professionnel de la charité mondialisée et le VRP des grandes causes qui rapportent plus qu’elles ne réparent, Paul Hewson (alias Bono Vox) fut aussi le leader incontesté du plus grand groupe de rock du monde. Une obscure bande irlandaise, formée de gamins qui n’avaient rien de musiciens prodiges avant d’acheter leurs premiers instruments, a fini par triompher, continent après continent. L’Amérique, évidemment, fut le morceau le plus coriace : mais à force d’insister, et grâce à deux disques incontournables (The Joshua Tree et Rattle and Hum, assortis de duos mythiques allant de B.B. King à Lou Reed) U2 atteignit enfin le sommet ultime. Achtung Baby, pour planter le drapeau.

Comme tous les coureurs du Tour de France vous le diront : quand on a franchi le col, on ne peut que redescendre. Sauf que fin 1989, la bande à Bono décide donc de descendre de vélo et d’attaquer en rappel la paroi encore plus haute, derrière la crête. Direction Berlin, ville décapitée par l’Histoire et en pleine renaissance après la chute du Mur, pour respirer à pleins poumons l’air de la décadence. Achtung Baby naît là, dans le chaos magnifique des Hansa Studios, où David Bowie avait déjà sculpté sa trilogie berlinoise. Brian Eno joue les sages médiateurs, Flood pilote la console et l’Europe tout entière infuse dans les nouvelles compositions : électronique, techno naissante, synth-pop, rock industriel… L’Amérique qu’ils avaient courtisée sur The Joshua Tree est subitement oubliée. Même en grattant la guitare pour tuer le temps, les quatre Irlandais accouchent de miracles. One, surtout, devint la ballade essentielle du groupe, reprise à l’infini, née dans l’un des moments de tension les plus violents de la carrière de U2 : tensions internes, divorce de The Edge, et écho évident à l’Allemagne réunifiée qui tentait de recoller ses propres morceaux. À l’opposé, The Fly annonce la rupture totale avec les années 1980. Guitare ultra-distordue, voix trafiquée, rythme tribal : une gifle. Bono, affublé de ses lunettes gigantesques, devient « La Mouche » et entreprend de dynamiter le cirque du show-biz, dont il va devenir un jour une caricature grossière. Cette métamorphose prendra de l’ampleur dans la tournée ZooTV, peut-être la dernière grande folie mégalomaniaque du rock : Trabants suspendues à quinze mètres du sol, murs d’écrans, slogans ironiques, distorsions visuelles et sonores… Bono y enfourche en fin de spectacle les cornes du Diable pour incarner Mac Phisto, dandy-démon de cabaret, qui hurle Mysterious Ways et Until the End of the World comme un paon possédé. Le reste de l’album est à l’avenant : Ultra Violet file comme une romance écorchée jouée dans l’urgence. Who’s Gonna Ride Your Wild Horses trouve un équilibre divin entre la guitare déchaînée de The Edge et le chant plaintif de Bono. Even Better Than the Real Thing donne au premier le rôle de funambule du manche, tandis que Zoo Station, en ouverture, empile les bruits du métro pour mieux annoncer la nouvelle naissance du groupe. Et pour clore le tout, Love Is Blindness laisse l’auditeur prostré, vidé, terrassé par un lyrisme sombre. C'est ma petite préférée du disque, depuis toujours. Achtung Baby va vendre plus de 18 millions d’exemplaires, et son ZooTV Tour redéfinir la notion même de concert-spectacle. Excusez du peu. U2, avec ce disque, s’empare de la couronne du rock mondial pour deux ans au moins. Avant, bien sûr, de retomber lourdement, dès l'album Pop et son ambition trop grossière pour être honnête. L'équilibre miraculeux entre l'innovation, la démagogie, le spectacle grand-guignol et l'urgence rock a été atteint avec Achtung Baby. Le reste a bien moins de flamboyance. 





dimanche 23 novembre 2025

ALPHA : COME FROM HEAVEN

 En 1997, un murmure surgit dans un paysage britannique alors saturé de guitares arrogantes et des rodomontades de branleurs de la pop. En ce temps-là, Bristol ressemblait à un laboratoire en ébullition : Massive Attack rodait chaque soir dans l'ombre, Portishead cultivait la neurasthénie, et quelques producteurs visionnaires rêvaient d’étendre ce territoire d’échos feutrés et de rythmes en apesanteur à l'ensemble du monde. Dans cette atmosphère propice à la corde au cou, Corin Dingley et Andy Jenks décidèrent de créer un disque qui ne ressemblerait ni à un manifeste, ni à une révélation, mais plutôt à un poison à distillation lente.

En 1997, Alpha sort donc Come From Heaven sur Melankolic, le label bien nommé fraîchement lancé par Massive Attack pour accueillir les sensibilités trop fragiles ou trop singulières (les losers, quoi) pour les majors de l'industrie. Et ce premier album s'inscrit exactement dans cette lignée : une œuvre que personne n’attendait, entièrement formée, déjà sûre de son esthétique, un satellite qui se place en orbite sans avoir eu besoin de décoller. Dès les premières secondes, Alpha impose son climat : pas d’introduction, pas de crescendo, pas de débordement symphonique. Juste un souffle, un battement au ralenti, trois fois rien . On comprend assez vite que ces deux-là ne veulent pas secouer l’auditeur : ils veulent le désarmer. Les cordes montent comme une brume, les beats avancent sur la pointe des pieds, et les voix masculines ou féminines se glissent dans les interstices, fragiles, presque trop près du micro, comme si elles hésitaient à troubler l’air. Elles chantent ou s'excusent, on ne sait plus. Ce qui frappe et qui a souvent été dit, c’est que Come From Heaven s’écoute comme une saison. Une saison lente, automnale donc, cette période précise où la lumière décline un peu trop tôt et où la ville semble scintiller dans un halo doré. L’adrénaline n'habite pas ici, place plutôt à un état d’hébétude confortable : la sensation d’être enveloppé dans un disque qui étire le temps, qui refuse la précipitation, qui se fout éperdument des temps modernes imposés par la pop préformatée. Au centre de cet exercice au ralenti, un morceau-pivot : Sometime Later, véritable cœur battant du disque. Un fantôme, le spectre de l'ossature d'un titre jazzy et diablement classieux. Au bout de cinq minutes, la voix se détache, le morceau respire, s’élève, retombe… la trajectoire émotionnelle de l’album tout entier est résumée. Le duo Dingley/Jenks cultive une sophistication qui n’a rien de clinquante : arrangements minutieux, textures veloutées, micro-variations qui passent presque inaperçues mais finissent par dessiner une ambiance cohérente, hypnotique, presque amniotique. Du coup, les 68 minutes n'ont aucune chance de retenir sur la durée les auditeurs impatients ou les furieux de la six cordes. Ils sont partis en jurant, ou profondément endormis, dès le premier quart d'heure. La vérité, c'est que Come From Heaven n’a jamais été un disque de « trip-hop » au sens strict : il partage le même climat que ses contemporains de Bristol, mais il se tient à distance des ambiances glauques qui les caractérisent. Alpha ne cultive pas l’angoisse, plutôt la suspension. On ne coule pas dans un océan bitumeux, on flotte, descend puis remonte, porté par une brise tiède, sans le moindre repère. Ce n'est pas le paradis, mais ça n'est plus non plus le monde terrien. Entre deux eaux, entre deux stades, un territoire qui n'existe pas mais qu'on retrouve à chaque écoute, trente ans plus tard. Il est superflu d'ajouter qu'Alpha ne fera jamais mieux. 


 

samedi 22 novembre 2025

PORTISHEAD : DUMMY

 En 1994, Portishead publie Dummy, un disque qui entrouvre une porte sur une pièce où personne n’aurait vraiment envie d'entrer : pas d'annonce urbi et orbi ou de pétards en rafale, juste une intensité souterraine qui fait immédiatement vaciller ceux qui tendent l’oreille. Tandis que le monde oscille entre les guitares râpeuses du grunge déglingo et les éclats stroboscopiques des raves party, le trio de Bristol propose une alternative étrange : une musique qui ne cherche ni la catharsis ni l’euphorie, mais une forme d’intimité sombre, presque clandestine. Écouté aujourd’hui, trente ans plus tard, ces morceaux ne paraissent pas avoir vieillis : l'ensemble respire encore cette brume nocturne qui lui donne l’air de n’avoir jamais vraiment appartenu à une époque précise.

Dummy, c’est l’art de l’épure transformé en piège sensoriel. Geoff Barrow assemble des beats poussiéreux, Adrian Utley glisse des éclats de guitare qui hantent chaque piste, et Beth Gibbons… Beth Gibbons chante comme si chaque phrase pouvait se briser entre ses doigts. Elle ne force rien, ne cherche jamais à impressionner : elle habite les morceaux, avec un mélange unique de fragilité et de lucidité, la clope à la main; singulière façon de murmurer des vérités que personne ne veut entendre. On peut deviner une connaissance intime du manque, de la fatigue émotionnelle, de ce moment où la solitude devient presque un paysage réconfortant. Le son du disque, lui, est minimaliste, ce qui ne veut pas dire maigre. Portishead travaille la texture comme d’autres travaillent la lumière. Tout semble jaillir d’un magnétophone fatigué : les craquements de vinyle, les boucles hypnotiques, les cordes soudain irréelles, les guitares qui passent comme des silhouettes furtives. Un agencement austère qui dessine une atmosphère dense, presque palpable. On a souvent résumé Dummy à un jalon du trip-hop, mais cette étiquette paraît étriquée : le disque se nourrit autant de jazz mutant que de hip-hop sous lexomil, autant de bandes originales de vieux polars humides que de dub étiré jusqu’à la léthargie. Ce qui frappe, surtout, c’est la manière dont Portishead parvient à donner du poids à des petits riens qui flirtent avec le risible, l'anecdotique. Les paroles de Beth Gibbons ressemblent à des pensées furtives qu’on n’aurait pas dû entendre. Ses textes parlent de fatigue, de désir, de honte, de ces doutes qui vous attrapent par la manche avant que vous ayez compris ce qui vous arrive. Jamais frontal, toujours pudique, Dummy fait de l’allusion une arme redoutable. Alors oui, beaucoup font la moue parce que ces titres sont tristes, ça ficherait le bourdon. C’est une simplification consternante. En vérité, Dummy explore un territoire bien plus complexe : celui des émotions silencieuses, des inquiétudes nocturnes, des certitudes fragiles. Vous voudriez du réconfort ou simplement quelqu’un qui comprenne votre malaise ? Décidez-vous avant l'usage. Wandering Star et Glory Box, les joyaux de cette sombre couronne, Mysterons et Sour Times en dignes compagnes, rien à jeter ou presque dans un disque qui se passe aisément de l'exercice paresseux de la description titre après titre, tant il forme un ensemble homogène, une chappe poisseuse qui vous repasse au mazout et vous fige dans l'écoute. Dummy n’a jamais cherché à convaincre quiconque de sa grandeur. Dummy se contente d’exister, et de nous faire savoir qu'on peut écouter autant le silence que la musique. Ce qui n'est pas dit, ou pas audible, et parfois encore plus impressionnant. Vous en connaissez beaucoup qui sont capables de bâtir un univers sonore aussi imposant et friable dès le premier album? 




30 ans se sont écoulés depuis Dummy. Pour l'anecdote, j'étais allé voir le groupe en concert au Festival du Devenir à Saint-Quentin, pour lequel je donnais un coup de main à l'organisation. Malgré ce petit avantage maison, nous nous étions fait subtiliser un appareil photo par la sécurité obtuse au possible, pour avoir osé prendre des clichés de Beth en pleine performance, à la sauvette. Trois décennies plus tard, tout le monde filme les moindres et faits des gestes des groupes sur scène et en dehors, ou le diffuse en direct sur les réseaux sociaux. Nous étions les pionniers du souvenir à l'arrache; vous ne connaitrez peut-être jamais l'adrénaline du jetable qu'on introduit en douce tel un sachet de poudre stupéfiante, bien caché dans le slibard.

vendredi 21 novembre 2025

THE CURE : DISINTEGRATION

Si vous avez des tendances gothiques à peine prononcées, vous êtes probablement parmi ceux qui considèrent The Cure comme LE groupe de référence en matière de new wave, voire même comme l'expression la plus haute de ce que la musique anglaise a proposé de mieux depuis la pendaison de Ian Curtis et la métamorphose de Joy Division. Après une longue carrière très productive, Robert Smith et sa bande à géométrie variable ont derrière eux une impressionnante série de succès et une horde de fans dont la fidélité granitique confine au dogme. Un retour sur ce qui est probablement la plus grande réussite curiste, le grandiose Disintegration, pourrait dès lors s'avérer assez dispensable, mais il en est toujours qui font semblant de ne pas voir ou pas entendre. C'est à eux que ces lignes s'adressent, dont la cécité ou la surdité mentale nécessitent un traitement de choc. On rembobine donc la cassette jusqu'en 1989 pour ce qui devait signifier la fin du groupe (d'où le titre crépusculaire). Avec le recul, tout cela fait bien sûr sourire. Robert Smith ne craint ni l'érosion ni la fragmentation, juste la sueur qui fait fondre et couler le mascara.


De tous les albums studio de The Cure, Disintegration est certainement celui qui est nanti de l'ambiance la plus féerique et la plus onirique (ou cauchemardesque, au choix). Il serait impensable de décrire toutes les émotions que l'on peut appréhender en l'écoutant. On peut y voir et y entendre la bande son idéale pour les naufragés de l'existence qui hésitent entre laisser ouvert le gaz toute la nuit ou s'enfiler une belle boite de xanax pendant que les parents ont le dos tourné. En l’offrant à nos tympans, nous sommes en proie à des visions d’aubes sibériennes, des lacs scintillants, et des ondées de pluie fine, sur une plage de sable en plein hiver. Ce n'est pas du lyrisme de Prisunic (expression de boomer, qui se traduirait en lyrisme de Normal ou Temu, en 2025), c'est ce qu'affirme Robert Smith en personne, quand il décrit le paysage imaginaire qui lui trottait dans la tête à l'époque, après quelques (litres de) bières bien tassées. Pour Simon Gallup, une seule corde de basse suffit à créer une mélodie. Ses lignes sont si aguichantes qu'elles peuvent se permettre de tenir des titres de 8 minutes à bout de bras. Les synthétiseurs, omniprésents sur l'album, favorisent la création de textures cotonneuses dont il est fort malaisé de s'extraire. La douceur de la mélancolie, ou comment mariner dans son jus et y prendre un plaisir fou. Les mélodies envoûtantes écrites par Robert Smith ne seraient rien non plus, si elles n’étaient pas portées par les guitares étirées et filamenteuses de Porl Thompson (The Same Deep Water As You, un bluffant morceau de dix minutes, dont on espérerait ne jamais entendre la fin), passant de l’amertume désenchantée (Pictures of You pop et pourtant si mélancolique, le superbe Fascination Street, titre le plus rock, ou le grinçant et morbide Homesick, peut être un peu forcé), à une douce morosité fiévreuse et maussade (Plainsong, l'incontournable Lullaby où Smith marmonne et susurre plutôt que chanter, un Closedown quasi martial, mais encore le tragique de Last Dance). Robert Smith atteint même ici l’osmose parfaite entre la lourdeur morbide et glaciale de Faith et la légèreté déroutante (évanescente) de Why Can’t I Be You. Smith, tel un troubadour mystique, passionné et visionnaire, distille le vague à l'âme en y ajoutant un parfum pop assumé, rare mais précieux (Lovesong) . Rouge à lèvres grossièrement appliqués sur ses lèvres de quasi alcoolique, le cheveu gélatineux et hérissé, ses élucubrations font encore mouche des décennies plus tard, et font rougir de honte et d'envie plusieurs générations qui s'appliquent à singer le père. Les simples fils ingrats s'appellent Indochine ou Placebo, par exemple. Ne négligeons pas non plus l'impact qu'un tel album a pu avoir sur toute une jeunesse dont je faisais partie, malgré moi. Quand votre quotidien sordide vous bouffe de l'intérieur, quand l'horizon vire au gris plomb tungstène et que vous comptez plus souvent les idées noires que les moutons blancs, faute de vous endormir. The Cure, Disintegration, c'était à la fois le diagnostic et le début du traitement. Un disque en intraveineuse pour découvrir que le monde était certes souvent répugnant, mais que la laideur partagée et démystifiée révélait un autre visage du monstre. Juste une bestiole pathétique à ne plus prendre au sérieux. Tout détruire pour mieux reconstruire. The Cure. 



mercredi 19 novembre 2025

BJORK : HOMOGENIC

 Il arrive que les artistes inventent des mots pour pallier le manque fondamental du langage humain. Un truc casse-gueule qui souvent s'avère prétentieux. Chez Björk, le néologisme sonne juste, coule de source. Homogenic (ne cherchez pas dans le dictionnaire) résume parfaitement ce moment où l’on voudrait revenir à l’origine, ou à ce qu’on imagine comme tel, un endroit où les choses ne font pas encore mal. Le cocon prénatal. « Don’t blame me, I’m just an idiot foreigner » avait glissé malicieusement l'artiste islandaise. Petite boutade offerte en pâture aux journalistes, qui condense la culpabilité du déraciné et la grâce involontaire de celle qui en trois quatre albums solo est parvenue à tutoyer les sommets, en ayant l'air de s'amuser. Du dilettantisme qui laisse rêveur. 

Les années 1990 et le succès ont fini par avaler et (presque) digérer Björk. Londres est une sorte de Babylone pour artistes maudits, avec son vacarme de bars interlopes, ses rappeurs en pleine ascension, ses files d’attente devant des clubs où le quidam moyen gobe des ecstas comme des mentos. Le succès de Debut et Post n’a clairement rien arrangé : les soirées interminables, les trophées en plexiglas, les amants compliqués choisis sur le catalogue des repris de justice du moment (Tricky, pire encore Goldie), les journalistes qui prennent leur proie en chasse et n'abandonnent jamais, du Melody Maker au NME, sans oublier les feuilles de choux des tabloïds. Et puis la cerise explosive sur le gâteau : le fan obsessionnel, la bombe envoyée chez elle, le suicide filmé. Un scénario que même le cinéma n'aurait pas osé, tant ça semble un poil forcé. Alors Björk rentre. Pas physiquement (Homogenic a été composé à Londres, enregistré en Espagne) mais intérieurement, ce qui est parfois encore plus violent et/ou nécessaire. Elle retourne mentalement en Islande, là où les paysages semblent faits pour accueillir les désastres humains : des terres immenses, glacées, pleines de silences qui n’ont pas d’équivalent au sud. Michel Gondry a très bien compris cela dans le clip de Jóga, où l’Islande se fissure comme une peau qu’on a trop longtemps exposée au vent. L’album lui-même ressemble à une tentative de tenir (encore) debout. Les producteurs (Markus Dravs, Guy Sigsworth, Howie B, et surtout le regretté Mark Bell, dont je vous raconterai un jour les mésaventures avec son groupe LFO) construisent un paysage électronique où les machines et les quatuors à cordes se regardent avec suspicion avant de décider, finalement, de cohabiter. On dirait bien des plaques tectoniques qui hésitent à entrer en collision. Eumir Deodato ajoute à tout cela des arrangements luxuriants, qui paraissent avoir été écrits pour une cathédrale en basalte. C'est fragile, faites la queue sagement avant, d'entrer, s'il-vous-plait. Björk pose au milieu de ce décor une voix qui sonne comme une blessure ouverte. Elle a claironné avoir écrit Homogenic comme une thérapie : elle n'a vraiment pas menti. Hunter cherche la paix dans une rigueur glaciale limite claustrophobe, Immature règle ses comptes avec les bad boys déjà cités, 5 Years semble presque vouloir punir les hommes qui ont cru être autorisé à la modeler, Jóga invoque l’amitié comme ultime refuge, Unravel et All Is Full of Love tentent de réinstaller un peu de chaleur dans ce souffle polaire. Ce sont moins des chansons qu’un carnet de convalescence, écrit à une altitude où l’air devient trop rare pour respirer, à plus forte raison pour (se) mentir. Mais Homogenic peut aussi s'emballer, à certains moments. Le fjord s'embrase, ça fond. Alarm Call tente de faire danser les ours polaires. Bachelorette est un single épique qui transcende tout le reste, et ça n'est pas une mince affaire. Rares sont les disques capables de condenser autant de contradictions sans s’effondrer sous leur propre poids. Homogenic (1997) sonne encore aujourd’hui comme un organisme vivant, qui oscille entre discipline et débordement, entre rigueur nordique et passions bouillantes. C’est une œuvre qui ne cherche pas à séduire, mais à survivre, qui ne console pas tout à fait, mais aide à tenir. Le chef d'œuvre pop de l'islandaise, sur lequel construire les expérimentations à venir, le reste d'une carrière assez insaisissable. 



mardi 18 novembre 2025

MANIC STREET PREACHERS : THIS IS MY TRUTH TELL ME YOURS

 Tisser les éloges des Manic Street Preachers en dehors du Royaume-Uni, voilà qui n'est pas gagné d'avance. En France, c'est même un exercice qui relève de l'inconscience, susceptible de vous discréditer pour un bon bout de temps aux yeux de ceux qui (prétendument) savent. Sauf que les cuistres ont du cérumen dans les oreilles, ne nous laissons donc point abattre. En 1998, les Manic Street Preachers décident ainsi de réaliser un petit exploit destiné à bouleverser leur carrière ascendante, sous le sceau du drame : sortir un album profondément politique, mélancolique et très gallois au beau milieu d’une époque dominée par la pop sucrée, Robbie Williams et les Spice Girls en tête d'affiche. Autrement dit, ils s’invitent à la fête avec un tract antifasciste dans la poche et la canette de bière à la main, là où les autres convives carburent au champagne et à l'héroïne. La revanche du prolétariat venue les pendre avec (une) six cordes.

This Is My Truth Tell Me Yours est né dans un climat paradoxal. Everything Must Go venait d'offrir au groupe une renaissance après la disparition de Richey Edwards, la boussole, l'éclaireur lyrique, prétendument noyé, légalement présumé décédé, toujours en cavale selon bien des complotistes musicaux. Ce vide-là ne s’est jamais refermé, et pourtant, au moment d’enregistrer un nouvel album, les Manics affirmaient avec un sourire un peu nerveux que « tout était déjà dans la poche ». Une phrase un peu bravache, certes, mais révélatrice d’un groupe qui avançait, blessé mais déterminé. Nicky Wire, devenu l’unique parolier, dut trouver sa propre voix sans trahir celle de Richey. Il choisit la sincérité, la mémoire ouvrière, la politique à hauteur d'homme. Place à une écriture plus intérieure, plus froide parfois, mais d’une honnêteté totale. L'antidote parfait aux tories qui rêvent d'atomiser le code et les droits du travail sans jamais avoir avoir bossé eux-mêmes, ne serait-ce qu'un seul jour de leur vie. Divine surprise, le public suivit. L’album se vendit par millions, resta des mois dans les charts, et offrit au groupe son premier numéro single numéro un avec If You Tolerate This Your Children Will Be Next, inspiré par la Guerre Civile Espagnole. La révolution soft venait d'embraser momentanément l'Angleterre ! Aux États-Unis, en revanche, ce fut une autre histoire. Trop gallois, trop littéraires, trop… britons, peut-être. L’Amérique resta globalement hermétique, soupçonnant ce trio pensif d’être un « groupe de minets avec une belle coupe de cheveux » venu troubler la paix et la sueur du rock local. Ce qui, soyons honnêtes, n’était pas totalement faux, sauf que leurs textes et leurs riffs avaient plus à voir avec les luttes sociales que le shampoing. Mais vous le savez, les ricains voient des communistes partout et ça leur file de l'urticaire. Et en France ? Dans la mesure où c'est surtout Céline Dion, Notre Dame de Paris et Lara Fabian qui s'y distinguaient cette année-là, est-il utile et pertinent d'approfondir ce point précis ? Musicalement, This Is My Truth marque un tournant. James Dean Bradfield chante moins pour défier le monde que pour tenter de comprendre ce qu’il en reste. Sean Moore transforme sa batterie en une montre qui tictaque doucement dans l’obscurité. Ensemble, les gallois tissent un disque ample, orchestré, traversé d’une douce tristesse, jamais pesante, toujours sincère. Des titres comme You Stole the Sun from My Heart, Tsunami ou Ready for Drowning sont les symptômes aigus d'un groupe qui continue d’avancer sans renier ses colères. Simplement, elles sont mieux canalisées, comme si les Manics avaient troqué les slogans griffonnés à la hâte pour un cours accéléré d'histoire politique et de philosophie contemporaine. Et doit-on encore nécessairement parler des six minutes les plus épiques de la carrière de Bradflield et ses amis, ce sublime The Everlasting, qui ouvre la visite avec une classe folle ? Vingt-sept ans après sa sortie, l’album conserve un pouvoir étrange : il apaise autant qu’il bouscule. Il ne hurle pas, mais il secoue, en profondeur. Il ne promet rien, mais on a encore envie d'y croire. C’est un disque pour ceux qui acceptent que les groupes changent, que les vies dévient, que les vérités fluctuent. Un peu de luxure et d'orchestration dans une discographie de brutes, le passage de l'âge punk à celui de raison, ou tout bonnement de la découverte qu'offre un studio bien garni et un producteur avisé (chez Mike Hedge, en France, comme pour l'album précédent, en réalité). Vont suivre Know your Enemy, en 2001, puis des albums de moindre intérêt, voire franchement anecdotiques. 





lundi 17 novembre 2025

MERCURY REV : DESERTER'S SONGS

 En 1998, Mercury Rev est revenu à la vie. La vie après la mort existe, on en tient ici une preuve patente. Le groupe renaît de ses cendres, ressuscite de ses propres désastres, à cause d’un duo de rescapés acharnés qui décident opiniâtrement de transformer un naufrage en chef-d’œuvre. En 1995, Jonathan Donahue avait touché le fond : See You on the Other Side s’était vendu comme une glace à la menthe à une kermesse scolaire sur la banquise, la tournée avait vidé les salles aussi vite que les caisses, et le groupe s’était disloqué dans un silence gêné. Ruiné, Donahue retourna se terrer dans une cabane des Catskills, à écouter les disques de son enfance. Au menu, des contes féeriques, des cordes classiques, et un piano qui recommençait timidement à chanter sous ses doigts, au fil des mois. Pendant ce temps, Grasshopper, guitariste et âme sœur artistique, séchait dans un monastère jésuite, à cause d’un besoin urgent de remettre un peu de zen dans son chaos personnel. Chacun ignorait encore que ces deux retraites séparées, l’une ascétique, l’autre presque mystique, allaient ouvrir la voie à Deserter’s Songs.

En 1997, un coup de téléphone improbable fit tout basculer : les Chemical Brothers appelaient Donahue (oui, lui, le loser, l’homme persuadé que tout le monde avait oublié jusqu’à l’existence de son groupe) pour lui proposer une collaboration. En entendant Private Psychedelic Reel, on comprend pourquoi il décrocha sa pelle et son seau pour remonter du fond du puits. Revigoré, il rappela Grasshopper, lui fit écouter ses premières maquettes, et les deux compères se retrouvèrent dans les montagnes (une constante chez Mercury Rev) pour composer une musique qui avait la texture des fantômes, du miracle et des souvenirs qui vous plombent une existence. Au magasin de bricolage du coin, Donahue croisa Garth Hudson et Levon Helm, deux légendes de The Band. En fan consciencieux, il leur proposa de passer jouer “sur des chansons bizarres, d’un groupe que vous ne connaissez pas”. Ils dirent oui. Résultat : Helm frappe Opus 40 avec la solennité d’un juge intègre, tandis qu’Hudson colore Hudson Line de son saxo rêveur. En écoutant Holes, qui ouvre l’album, on comprend bien que Mercury Rev n’a pas que cherché à revenir dans la course : il fallait carrément passer à la transcendance. En 1998, ils commencèrent ainsi leur disque par un quasi-requiem : cordes qui glissent comme des comètes, falsetto tremblé et coulis d'émotions bien sucrées. Puis viennent Tonight It Shows et Endlessly, deux miniatures quasi-classiques qui semblent se briser à chaque seconde mais se terminent miraculeusement intactes. C’est audacieux, presque suicidaire : trois morceaux lents, rêveurs, dépouillés, pour dire au public “Asseyez-vous, on vous emmène en voyage, mais ne nous demandez pas où”. Plus loin, Goddess on a Highway, morceau exhumé d’un vieux carton des années 1980 et affiné jusqu’à devenir un tube céleste, enfonce le clou. The Funny Bird, quant à lui, plonge l'auditeur dans un orage psychédélique, cryptique, magnifique, bref le genre de morceau qui donne envie de fonder une secte juste pour en discuter les paroles et le sens. L’album se termine sur Delta Sun Bottleneck Stomp, carnaval halluciné où l'ombre des Chemical Brothers revient semer un peu de joyeux désordre. En 1998, Mercury Rev n’offrit pas onze chansons mais huit véritables faits d'arme, accompagnés de trois vignettes cinématographiques. Ces interludes, faits de drones, de pianos fatigués et de bruissements de vieux films 8 mm, rappellent que Mercury Rev s’est d’abord formé dans un lieu où les frontières entre cinéma, musique et art expérimental se dissolvent aussi vite qu’un rêve au petit matin. De quoi sauver le groupe (littéralement) avec un mélange inédit d'Americana cosmique, de cordes majestueuses, de romantisme échevelé, et cette sincérité désarmante qui a hissé le disque en haut de toutes les listes de préférence de la fin du siècle, contre tous les pronostics.





dimanche 16 novembre 2025

MANSUN : ATTACK OF THE GREY LANTERN

Dans l’histoire du rock britannique, Mansun n'est pas le premier météore des plus éclatants qui disparait sans laisser de trace. Surtout que l'auditeur contemporain a la mémoire courte et sélective. Le bande à Paul Draper appartient à cette catégorie de groupes qui, en 1997, auraient dû s’installer durablement en haut de l’affiche, entre une Spice-mania régressive parfaitement huilée et un Gary Barlow fraîchement émancipé. Mais Attack of the Grey Lantern n’était pas l’album destiné à faire consensus : c’était plutôt une expérience déviante, annoncé comme un concept album autour d'un super-héros inspiré du Green Lantern de DC Comics, mais dont les pouvoirs consisteraient à faire éclater au grand jour la mesquinerie et la duplicité des gens. Sauf que Draper a perdu le fil de ses idées, et que la seconde partie du disque a été agencée sur d'autres bases.

Toujours est-il que dès les premières secondes, The Chad Who Loved Me fait comprendre qu’on ne jouera pas dans la même cour que les cousins germains de la britpop. Mansun ouvre son premier album avec des cordes dramatiques dignes d’un générique de James Bond, un clin d’œil mélancolique et presque gothique qui s’épanouit dans des guitares tourbillonnantes avant de se perdre dans quelques bruits de ferme (qui est capable de glisser un mouton dans une ouverture symphonique sans prévenir, levez la main !). Cette fantaisie iconoclaste s'est avérée être une arme, mais aussi une bombe à retardement. Car Grey Lantern n’est pas un disque cohérent (et tant mieux, ou tant pis) : c’est un roman-feuilleton, un scrapbook, un patchwork que le groupe s’est amusé à recoudre en studio. Mansun ne cherchait plus l’homogénéité, au moment de concrétiser son premier effort, mais l’éblouissement permanent. On y passe d’une parodie Bondienne, donc, à un pastiche psychédélique, d’un riff taquin à une déferlante électronique comme si chaque chanson devait prouver que le groupe refusait d’être rangé sur la même étagère qu’Oasis. Cette boulimie stylistique n’était pas qu’un caprice : Draper and Co. apprenaient littéralement les morceaux en studio, dans une forme de bricolage inspiré qui donnait l’impression qu’ils construisaient un vaisseau spatial avec les restes d’un robot ménager. N'oublions pas, deux ans plus tôt, le frontman et les siens ne savaient pas se servir de leurs instruments ! Évidemment, dans cette agitation permanente, le disque offre des moments de grâce, sinon je ne prendrais pas le temps de vous en reparler. Quand Mansun cesse de s'agiter et de tenter l'esbrouffe, Attack of the Grey Lantern devient hypnotique. Wide Open Space (hymne remixé jusqu’à l’ivresse dans les clubs, par Paul Oakenfold) file vers les hauteurs avec une élégance digne de Radiohead. Disgusting oscille entre spleen, funk discret et valse sous amphétamines. Mais Mansun aimait trop la mise en abyme pour se laisser aller à la facilité L’affaire Taxloss, avec son clip où le label jeta des liasses de billets dans une gare bondée, relevait presque de la performance dadaïste, tout en prouvant que les années 1990 accordaient encore des budgets délirants à des idées catastrophiques. Quant au fameux morceau caché dans lequel Paul Draper explique que tout ceci n’était qu’une blague (oui, patientez un peu en fin de galette, vous entendrez), il laisse derrière lui un parfum de supériorité déplacée. Après avoir peint une toile de maître michelangiolesque, Mansun se contente de pisser sur son tableau avant de repartir en sifflotant. Pourtant, presque trente ans plus tard, quelque chose persiste. Non pas l’idée d’un chef-d’œuvre oublié, mais celle d’un objet sonore étrange, audacieux, parfois maladroit, toujours fascinant. Ce premier album condense une époque où l’on pouvait encore dissimuler du prog-rock sous une couche de britpop pour tromper la vigilance des radios. Le disque revient régulièrement sur les platines de ceux qui savent, je peux vous le certifier par expérience. Attack of the Grey Lantern n’a jamais prétendu être parfait. Mais il est curieux, nerveux, un peu fou… et c’est peut-être pour cela qu’il résiste mieux que tant d’autres. Trop ambitieux pour les charts, trop indiscipliné pour entrer dans les anthologies, il flotte dans un entre-deux délicieux, qui le rendra peut-être éternel.





dimanche 19 octobre 2025

ED GEIN : AUTOPSIE D'UN TUEUR EN SERIE


Je vous propose ici l'article écrit en 2022 pour UniversComics, à l'occasion de la sortie de ED GEIN, la bande dessinée. En cette période où c'est la série qui est à l'honneur, cela pourrait vous être utile.

Si le nom de Ed Gein n'évoque pas grand-chose pour vous, il est fort probable qu'après lecture de cet album publié chez Delcourt, les choses soient fort différentes, et pour longtemps ! Nous sommes ici face à l'un des pires psychopathes de l'histoire américaine, un tueur en série aux actions monstrueuses, qui a par la suite inspiré des œuvres cultes comme le roman Psychose de Robert Bloch (porté à l'écran par Alfred Hitchcock) ou encore le terrible assassin du Silence des agneaux. Au départ rien ne prédispose le petit Ed à devenir le monstre qu'il sera ensuite, si ce n'est malheureusement sa famille. Et oui, rappelons-le, les brimades de l'enfance, l'ambiance dans laquelle on grandit sont très souvent à la base de névroses ou de comportements déviants qui peuvent alors gravement nuire au développement individuel, mais aussi à la société dans son ensemble. Avec une mère religieuse fanatique, un père alcoolique et soumis, et pour finir un frère qui semble être le "préféré de la famille", ou en tous les cas le plus débrouillard, Eddie n'a pas tiré le bon ticket à la loterie de la vie. Ne parlons pas de ses relations avec les filles, puis les femmes en grandissant… elles sont inexistantes ! Pour lui l'univers féminin relève principalement du péché absolu, ce qui explique pourquoi il deviendra plus tard l'assassin de nombreuses d'entres elles, qu'il va découper méthodiquement, allant jusqu'à conserver puis utiliser les parties intimes et génitales. Oui vous avez bien compris, il faut avoir le cœur accroché pour lire cette bande dessinée. Attention, il s'agit de quelque chose de très fort, qui est absolument a déconseiller pour les plus jeunes ou les plus sensibles. Certaines pages sont particulièrement intenses, choquantes, et non seulement ce qui est décrit est difficilement soutenable, mais c'est aussi montré, illustré sobrement mais puissamment. 




Le travail réalisé par Harold Schechter est assez remarquable; la reconstruction des faits, quasi journalistique, permet de comprendre, à défaut d'excuser, ce qui a poussé un individu qui a grandi dans la frustration et l'ignorance de la vie réelle à devenir une créature déséquilibrée et probablement manipulatrice, comme en témoignent les scènes où il est interrogé par la police, les avocats ou les psychologues. C'est l'apparente banalité de l'individu qui accentue l'horreur de la situation. Au premier coup d'œil, rien ne permet de distinguer Ed, le citoyen banal, d'un assassin en série dont il faudrait se méfier. Certes, à bien y regarder, des indices sont disséminés tout au long de sa vie, et en effet, une fois que la vérité éclate, il s'avère qu'il aurait probablement été possible de comprendre où étaient passées certaines des victimes, de ces femmes enlevées et assassinées, et de percevoir à travers les propos du tueur des mots, des demi-aveux, qui deviennent évidents avec le recul. Mais avec des "si" on mettrait Paris en bouteille, alors pour ce qui est de mettre un serial killer en prison… Parfois il est nécessaire de combler les informations glanées par quelques petites libertés scénaristiques, mais ça n'est jamais forcé et cela sert toujours parfaitement un récit, qui est maîtrisé d'un bout à l'autre. Il faut dire que le dessin d'Eric Powell est également extraordinaire. Toute l'histoire se présente dans des tonalités de gris d'une élégance extrême, qui contrastent avec l'atrocité de ce qui est présenté. Le réalisme est ici parfaitement associé au style propre d'un artiste qui parvient à rendre haletantes et tendues des séquences pourtant statiques, ou basées sur un regard, un mot, un non dit. Même le quotidien anodin devient menaçant et nous fait frissonner. Certaines pages sont pourtant chargées en didascalies, en informations, mais on les voit défiler très vite car une fois immergé dans la lecture, il y a comme une urgence à aller au bout de ce récit glaçant, qui en même temps nous contraint à certains endroits à marquer quelques poses, devant l'ampleur de la déflagration conceptuelle. Oui, Ed Gein est le genre de bande dessinée qui va creuser bien profond dans la psyché humaine, oui nous descendons là à un niveau rarement atteint dans l'abject en images, et en même temps, dans l'œuvre d'art aboutie. D'autant plus que l'édition proposée par Delcourt est de très grande qualité, avec notamment un carnet de croquis et quelques annotations bien utiles, qui en font un objet dont la place est sur les étagères de tout amateur de bande dessinée qui se respecte. Incontournable est un adjectif parfois galvaudé, mais certainement pas ici.



lundi 15 septembre 2025

INTERNET : LA GRANDE FOSSE SCEPTIQUE

 Si comme moi vous fréquentez assidûment les réseaux sociaux (et je ne le fais pas par choix, mais la plupart du temps parce que j'y ai une activité semi-professionnelle à développer), vous vous êtes peut-être rendus compte de l'extrême droitisation de ceux qui s'y illustrent. Ou en tout cas, de la parole décomplexée, comme on dit pudiquement, qui s'exprime désormais du matin au soir sur les pages de tous les médias, quelle que soit leur obédience politique, ou simplement dans les conversations entre amis. Comme si les droitards de tout bord s'étaient donné rendez-vous sur la toile pour pouvoir vomir en paix leur idéologie nauséabonde, ou tout simplement leur paresse et leur crasse intellectuelle. Et c'est exactement ce qui se passe : ces gens-là, en règle générale, n'ont aucune chance de faire long feu dans un débat public ou dans un échange constructif entre personnes dotées d'un minimum d'intelligence. Tout leur logiciel est basé sur le rejet de l'autre, la victoire de celui qui parlera le plus fort, et clairement, dans la vie réelle, ça ne fonctionne guère qu'un bref instant ou entre teubés consanguins. Alors il existe dorénavant Internet. Là où autrefois on pouvait déblatérer au comptoir du coin, en se faisant rajouter une mousse toutes les demi-heures jusqu'à ce qu'on rentre complètement bourré à la maison tout en s'apercevant d'avoir perdu les clés, il est aujourd'hui beaucoup plus économique et rapide de venir commenter

Les réseaux asociaux, c'est donc surtout l'opportunité extraordinaire de voir ce qui se passe réellement dans la tête des gens, quand personne ne les regarde, quand ils sont convaincus qu'ils peuvent donner libre cours à leur moi profond, d'autant plus que bien caché derrière un pseudo, il est possible de rugir férocement, même quand on a l'apparence d'un chaton castré. Ils sont là, partout, sur tous les réseaux, une véritable armée de débiles profonds qui ne comprennent rien à rien, dans l'incapacité manifeste de faire preuve de subtilité, dans un français langue vivante étrangère 5 donc ils ont l'air particulièrement fiers. Allez leur expliquer qu'il existe un Bescherelle, vous allez voir les réactions (et accordez-moi, au moins, la licence poétique du "sceptique" employé dans le titre). Ces gens-là sont partout, ces gens-là écrivent comme d'autres dégueulent après une crise de foie, ces gens-là commentent comme d'autres défèquent après une bonne gastro. Ils en mettent partout, ça sent la merde, le purin, l'urine et l'alcool, et vouloir leur opposer une réponse constructive est l'assurance d'une foire d'empoigne, d'une course à l'insulte. Ces gens-là ne sont rien d'autre que de sombres et pathétiques crétins, qui parce qu'on leur laisse la possibilité de s'exprimer, s'imaginent que ce qu'ils ont à dire présente soudainement un intérêt quelconque. Il s'obstinent encore et encore à rêver de lendemains qui chantent, alors que l'histoire enseigne que leurs champions finissent pendus par les pieds sur une place publique, suicidés dans un bunker, ou encore tout récemment emprisonnés pour plusieurs décennies après une tentative de coup d'état. Ces gens-là ont toujours essayé ( cette engeance systémique et qui se reproduit comme des lapins) d'imposer leur violence et leurs conneries au reste de l'humanité. Par chance, ces gens-là finissent toujours dans les toilettes, juste avant que l'on tire la chasse. Ne vous laissez pas tromper par leur omniprésence et le vacarme de la réacosphère, ne vous laissez pas impressionner par le pouvoir qu'elle semble en mesure de conquérir, et soyez prêts à la combattre, lorsque le moment sera venu : ce sont des pleutres, des cuistres, des exemples qu'avant de mettre un préservatif, il faut toujours vérifier qu'il n'est pas troué. Pas de quoi pleurer quand ils se prennent une balle, qui plus est quand cette balle vient de leur propre camp, de ces ganaches xénophobes et haineuses que personne ne regrettera. 



samedi 13 septembre 2025

INTERVIEW DE BRETT ANDERSON POUR LE NME (SEPTEMBRE 2025)

 En 2022, alors qu’il présentait Autofiction, Brett Anderson confiait au NME que le prochain disque de Suede serait « bien plus expérimental », ajoutant qu’il aimait croire que « leur travail le plus audacieux était encore à venir ». À l’heure d’Antidepressants, pense-t-il avoir tenu parole ?

« Aujourd’hui, j’aborde chaque album avec cet état d’esprit », répond-il. « Je suis fier de la place que nous avons trouvée dans le paysage musical. Je ne crois pas qu’il existe un autre groupe de notre génération qui continue à produire des disques aussi essentiels que les nôtres. Beaucoup d’artistes considèrent un album comme un simple prétexte à repartir en tournée ; nous, nous voulons encore écrire de la musique excitante, faire évoluer notre son, éviter de tourner à la caricature de nous-mêmes. Je n’ai jamais voulu que Suede se repose sur ses lauriers. »

En revenant sur son rôle de pionnier malgré lui de la Britpop, Anderson précise : « Je suis fier de ce que nous avons fait dans les années 1990, mais ce n’est pas à cela que je pense au quotidien. Ce qui m’obsède, c’est ce disque et le prochain. » Alors que l’Angleterre vit un retour de flamme pour cette décennie (Oasis en pleine tournée, Pulp qui triomphe avec une tournée et un nouvel album) Anderson se refuse à transformer Suede en groupe pour nostalgiques.

« On peut toujours en parler, mais je n’ai plus rien de neuf à dire sur le sujet », admet-il. « Ça ne m’intéresse pas vraiment. La dernière chose que je voudrais pour Suede, c’est de devenir un groupe-musée. Dès 1992, j’avais le sentiment que nous étions seuls, à chanter le quotidien des Britanniques quand personne ne le faisait. Nous avons survécu ainsi, à contre-courant parfois, mais toujours en suivant notre propre voie. »

Avec Antidepressants, Suede se mesure à l’air du temps de 2025 en proposant un disque « plus sociétal », personnel mais tourné vers la recherche de lien dans un monde fragmenté. « L'humeur du XXIᵉ siècle, voilà ce que j’ai voulu capter : la névrose, la sensation de contrôle latent », explique Anderson. « J’ai intégré des effets sonores parasites, comme si nous étions bombardés en permanence de consignes et de bruits de fond. Le disque est sombre, mais il exprime aussi la joie de s’échapper à cette oppression. Des titres comme The Sound Of The Summer ou Dancing With The Europeans parlent justement de cela : trouver une connexion dans un univers déconnecté. Il y a tant de beauté dans la vie, même si elle est parfois difficile à saisir. »

Présenté hâtivement comme « leur album post-punk », Antidepressants prolonge en réalité l’exercice de style déjà amorcé avec Autofiction. « J’ai appris à simplifier le discours », sourit Anderson. « Quand vous décrivez un disque à la presse, vos mots sont répétés partout, il n’y a plus de place pour la nuance. Autofiction n’était pas un album punk, c’était notre album punk. Antidepressants n’est pas une imitation post-punk, mais l'influence est là, oui »

Cette impression vient surtout de Richard Oakes, guitariste arrivé en 1994, qui, à 17 ans, avait remplacé Bernard Butler. « Dans les années 2020, Richard est devenu un élément central. Ses influences — PiL, Siouxsie, Joy Division, New Order — transparaissent plus librement qu’auparavant. Suede devient aujourd’hui plus post-punk que rock 70s, ce que nous étions parfois dans les années 1990. C’est son langage musical qui s’affirme, et c’est exaltant à voir. »

Anderson insiste : le post-punk offre une liberté que le punk n’avait pas. « Le punk était plus étroit d'esprit, là où le post-punk ouvre le champ, accepte les hybridations, l’expérimentation. » Une attitude qui prolonge l’esprit frondeur de Suede, resté fidèle à son identité d’outsider. « Au début des années 90, nous jouions dans des pubs vides, on mangeait des chips et de la pita salade, on avait tous connu des petits boulots, parfois nettoyer des toilettes. La fameuse ‘Cool Britannia’ n’était pas encore là. Ce que nous faisions alors (chanter la vie au Royaume-Uni) a fini par marquer la décennie, mais personne n’y croyait à l’époque. »

Suede pourrait émerger aujourd’hui ? Anderson en est persuadé : « S'il suffit d'aimer passionnément la musique, alors oui. Il faut passer par l’échec, l’indifférence, parce que c'est tout ça qui vous forge. Je le dis toujours à mon fils : il n’existe pas d’échec, seulement des réussites et des apprentissages. »

Ce goût du risque irrigue aussi leurs concerts, qui restent imprévisibles : « Comme disait John Peel des Fall : ‘toujours différents, toujours les mêmes’. C’est exactement cela. Pas de chorégraphies, pas de paillettes, mais de la surprise et de l’énergie brute. Je pense sincèrement que nous sommes l’un des groupes live les plus excitants du moment. » Les Manic Street Preachers, qui ont partagé plusieurs tournées avec eux, le confirment : James Dean Bradfield a reconnu que Suede les avait poussés à se dépasser. Anderson, élogieux, se souvient de concerts « merveilleux » et de soirées passées à admirer Motorcycle Emptiness et A Design For Life depuis les coulisses.

Prochaine étape : investir le Southbank Centre à Londres, avec un concert « off-mic » (sans micro, en acoustique totale) et le tout premier spectacle orchestral de Suede. « Nous avons toujours eu assez de curiosité pour oser de nouvelles choses : un show rock classique, mais aussi une collaboration avec le Paraorchestra, ou une expérience plus intime, presque comme une répétition dans une chambre d’ado. » Et après ? Anderson reste tourné vers l’avenir : une tournée d’hiver en 2026 et surtout l’album numéro 11. « Il y a toujours un prochain disque à imaginer. Tant que les gens nous écoutent et nous suivent, c’est une chance incroyable. Je ne sais pas encore où cela nous mènera, mais j’ai la certitude que ce sera passionnant. »




NME le 9 septembre, interview réalisée par Andrew Trendell.

Version originale : https://www.nme.com/news/music/suede-brett-anderson-antidepressants-interview-90s-future-tour-3891098


mercredi 10 septembre 2025

LE POINT POLITIQUE DU 10 SEPTEMBRE : TOUS COUPABLES ET COMPLICES ?

 Petite devinette pratique : est-il possible de gouverner un pays tout en méprisant ouvertement l'opinion exprimée par la majorité de sa population, lors des élections législatives ? C'est-à-dire ce moment où les citoyens choisissent leurs représentants. La réponse est évidente : c'est non. Enfin, il est toujours possible d'essayer, par le truchement des accords politiciens et de la consanguinité des élites, cette tambouille infecte qui est un des moyens légaux et régulièrement employé pour tordre le bras à la démocratie. C'est le sport préféré de l'empereur Macron, qui depuis son accession au trône continue de nier la réalité. Pire, de la récrire à l'image ses fantasmes. Je parle là du rejet intrinsèque de sa politique, de sa personne, de ses objectifs et même de son premier cercle, de ses affidés, puis de ceux qui sont montés sur le char en cours de route… voire même, de ses derniers soutiens, qui malgré le crépuscule qui s'annonce ont accepté de se vendre bassement contre un plat de lentilles périmées. Parlons de François.

François Bayrou a donc dû quitter le gouvernement après avoir reçu un bon coup de pied dans les fesses. La question n'est pas de savoir si on peut appeler ça une déflagration politique, la question est de savoir comment il a été possible de le nommer, sans qu'instantanément le peuple ne s'exprime avec la pluie grande véhémence (pas juste sur les réseaux sociaux) et que ses représentants ne le censurent immédiatement. Il faut croire que décidément, l'obéissance aveugle et la résignation sont devenus une fierté bien française et que les places de députés, si chères aux yeux des candidats, si confortables une fois obtenues, brouillent les esprits et facilitent la trahison des promesses de campagne. Nous avons donc maintenant Sébastien Lecornu en guise de chef du gouvernement, autrement dit, absolument rien ne change, la direction reste la même, celle impulsée par un monarque seul maître à bord, qui se gargarise du processus démocratique tout en démontrant quotidiennement qu'il n'en tient absolument aucun compte. Le poulet n'a plus de tête et entame un énième tour de la basse-cour. Nous ne sommes plus face à une opposition populaire, nous sommes face à un rejet complet, mais que faire dans une telle situation ? Descendre dans la rue, au risque d'une réponse policière gilet jaunesesque, c'est à dire une pluie de coups, de matraques, et des arrestations arbitraires ? Tenter de réveiller les foules anesthésiées par le verbe, ceci alors que la grande majorité des Français continue de se présenter au travail le matin même des jours de grands mouvements nationaux, chacun se trouvant une bonne excuse pour ne pas réaliser que sans un sacrifice collectif à court terme, nous allons tous plonger dans l'ignominie à moyen long terme ?

Nous sommes face à un problème insoluble, principalement pour trois raisons : la démocratie n'a pas le même mode de fonctionnement qu'une oligarchie; une petite caste au pouvoir ne peut pas se substituer à la volonté populaire, qui rappelons-le, certes a le devoir et le droit d'élire ses représentants, mais peut aussi les faire chuter, notamment par l'expression de revendications sociales concrètes, lorsque le moment semble venu (ces 10 et 18 septembre, pour ceux qui ne comprennent rien). Parce qu'une charge publique, quelle qu'elle soit, signifie se mettre au service des administrés, des concitoyens, et pas le contraire. Le président de la République travaille en quelque sorte aux ordres de 60 millions de patrons à qui il doit rendre des comptes, il n'a pas sous ses ordres 60 millions de soldats, prompts à obéir au moindre de ses caprices. Enfin, il n'est pas possible de gérer les affaires de l'État comme s'il s'agissait de dégager des intérêts privés, au bénéfice d'investisseurs dont la richesse personnelle donnent de nouveaux vertiges chaque année, et qui jettent avec nonchalance quelques miettes de la table en fin de repas. La théorie du ruissellement, appelée aussi celle du mépris et de l'humiliation. En somme, réveillez-vous, sortez de votre confort, libérez-vous du cocon ouaté dans lequel on vous berce : l'Empereur sait que le peuple n'est pas affamé. Il a l'estomac qui gronde, il voudrait plus de dessert, mais c'est de la gourmandise. Au peuple de lui prouver qu'il a tort. Mais a t-il vraiment tort ? De votre réponse dépend la démocratie.





lundi 8 septembre 2025

SUEDE : ANTIDEPRESSANTS

 En ce début d'année 2025, Brett Anderson décrivait Antidepressants comme « un disque post-punk de Suede », et il n’exagérait certainement pas. Certes, l’ombre de Bowie plane encore sur ces nouveaux morceaux, mais les arrangements lorgnent cette fois du côté de Joy Division ou d’Editors, loin du glam frimeur auquel le groupe nous avait habitués. En fait, c'est un mini coup d'éponge sur l'ardoise. Tu te rappelles Suede, le premier album éponyme, la guitare aguicheuse et acérée ? Retour en arrière, baby, comme si les pépites pop qui ont jalonné le chemin depuis comptaient pour du beurre. Enfin, presque pour du beurre. Sur la couverture du disque (sur la pochette, pour les irréductibles) Anderson rejoue une photo de Francis Bacon : torse nu, encadré de deux morceaux de barbaque, comme des ailes organiques et en décomposition. Le ton est donné : entre exaltation et désespoir, distorsion et mise en scène, on va se fendre la poire. De la musique brisée pour des gens brisés, je n'invente rien, c'est dans le tracklisting.

L’album tout entier joue la carte du double maléfique et du décalage avec le précédent, le très bon Autofiction. Là où ce dernier captait le bruit brut d’un groupe en salle de répétition, Ed Buller injecte ici des notifications électroniques, des sons de transport public, même l’écho d’un message de la police des transports britanniques qui nous envoie directement en plein Crash de Cronenberg. Musicalement, Antidepressants alterne le percutant et le convenu, sans pour autant que ce soit foncièrement négatif (Suede tu voulais, Suede tu auras). Dancing With The Europeans hésite entre Interpol et Bowie et trouvera vite sa place dans la set list des refrains repris en cœur par le public. Criminal Ways et Trance State jouent la carte de la basse neworderienne de Mat Osman et les claviers de Neil Codling. Suede retrouve de son panache et de sa morgue quand on en arrive au chapitre pop flamboyante : Sweet Kid ou encore June Rain, entre romantisme spectral et michetonnage rock, et Broken Music for Broken People dont un lyrisme glauque épouse parfaitement l'idéologie et la verve de Brett Anderson. Le type a soixante piges et il enchaîne les passements de jambe et les frappes en lucarne comme les époux Balkany collectionnent les mises en examens.  Son chant, son cri, nous fait toujours frissonner et nous pousse à choisir entre l'optimisme héroïque du loser qui n'a plus rien à perdre, et le désespoir fondamental de celui qui est au sol, terrassé. Anderson sait charger le quotidien et sa misère existentielle d’une intensité qui arrache le cœur sans anesthésie. En fait, j'ai employé un peu plus haut le terme de convenu mais c'est précisément pour cela qu'on aime aussi ce groupe : la sensation de toujours les retrouver au sommet de leur forme, égaux à eux-mêmes, avec un Brett qui joue de sa tessiture vocale et finit par te convaincre qu'il est possible de se vautrer dans la merde et de rentrer chez soi sans sentir mauvais. Que faire partie de ceux qu'on ignore ou à qui on réserve le pire n'est pas nécessairement une malédiction, mais un motif de fierté. Que l'existence réserve bien des surprises et englobe tout un panaché d'expériences, de l'atome aux étoiles (somewhere between an atom and a star), toute la diversité de ce que l'on appelle la vie, tout banalement. C'est ça que chante Suède depuis les années 1990; pas de quoi révolutionner l'univers, pas de quoi crier à la Révolution Existentielle, juste la prise de conscience que même le gris le plus glauque peut avoir des fulgurances et des éclats lumineux, comme on en voit rarement.




vendredi 5 septembre 2025

KOLKHOZE D'EMMANUEL CARRÈRE

 Quiconque est familier de l'œuvre d'Emmanuel Carrère sait à quel point le "Je" est le pronom sujet autour duquel gravitent les préoccupations majeures de l'écrivain. Que ce soit à travers l'exploration d'une généalogie qui se mêle à des considérations sur l'histoire de la Russie et de l'Union soviétique, ou un attendrissement et une fascination à la limite du morbide, pour toutes les formes de dépression et bipolarité qui semblent caractériser l'écrivain abonné aux tempêtes émotionnelles. La question était donc légitime : avions-nous besoin d'un ouvrage de plus cinq cent pages pour retracer l'existence de sa mère, Hélène Carrère d'Encausse, récemment décédée ? Un livre, par ailleurs, qui durant tout son premier tiers plonge ses racines dans le passé trouble des aïeux, qui oscille entre petite noblesse et misère noire, victimes collatérales de la révolution bolchévique de 1917. Nous ne le savions pas, mais la réponse est oui. Carrère possède le don de la clarté et de l'excursus narratif. Il est abordable, construit des écrits sans effets de manche ou rodomontades stylistiques. Il sait quand il convient de prendre un chemin de traverse, qu'il est parfois nécessaire de lever un peu le menton pour regarder la cime des arbres, quand on ne veut pas se contenter d'une marche forcée, tête baissée, droit vers l'objectif. Le voyage entrepris sera une fois de plus un vagabondage lumineux, une randonnée bohème, plutôt qu'un marathon sportif et austère. Quatre générations en guise de guides touristiques, dont les destins croisés et parfois vraiment singuliers, les rencontres impromptues et les non-dits gênés, rythment l'exploration des documents que Carrère a entrepris de consulter, après la mort de sa mère, et qu'il nous restitue ici sous forme de fresque généreuse. Une généalogie à deux voix, presque, puisque son père, décédé peu après l'épouse, était lui aussi un féru de la matière, et qu'il avait entrepris de retracer et approfondir, au fil des ans, le grand récit choral des ancêtres (surtout ceux de sa femme, quitte à combler les vides par une interprétation audacieuse des trous dans la raquette). Carrère revendique l'objectivité (pour autant que cette notion existe en littérature), il tente de poser le regard sur chaque facette des faits et écrit en magicien : l'égo est une fois de plus posé là, au centre de la table, sans qu'il encombre réellement l'espace et ne perturbe la lecture. Sans surprise, c'est d'ailleurs la dernière partie, lorsqu'il est question de la maladie de la mère et les répercussions sur la famille, la manière dont les dernières semaines ont été vécues et digérées, que le roman devient extrêmement poignant. Outre le cancer, c'est aussi l'humble existence de l'époux d'Hélène Carrère d'Encausse qui retient l'attention, un homme qui a su aimer celle qui vraisemblablement a cessé de le regarder, voire même de le considérer, assez rapidement. Louis, un père et un mari transformé en simple satellite, appelé à tourner désespérément autour de l'astre de la famille, relégué au rang de faire valoir des décennies durant, et qui ici, par la grâce de quelques pages saisissantes et d'une infinie tristesse, reçoit un hommage inattendu. La question n'est en réalité pas de savoir si Carrère est un écrivain nombriliste, car de toute manière la réponse est aussi évidente que désormais connue de tous. La véritable question est de savoir si ce qu'il essaie de transmettre vaut la peine d'être lu. Et sauf à faire preuve d'une mauvaise foi évidente ou d'un illettrisme profond, il est impossible de dévorer les 500 pages de Kolkhoze sans être ému, parfois même jusqu'au larmes, et intrigué, par un destin que l'on pourrait qualifier d'improbable, emblématique aussi d'une époque ou la République pouvait encore offrir de telles trajectoires, même à ses enfants adoptifs. Kolkhoze n'oublie pas non plus d'aborder le conflit entre l'Ukraine et la Russie et d'en tirer quelques conclusions lumineuses de désespoir, qui nous rappellent que les vaincus, les déclassés et les méprisés d'aujourd'hui auront toujours au fond d'eux mêmes la tentation d'être les tyrans de demain. Une leçon jamais apprise et qui se répète éternellement dans l'histoire, et qui vient ajouter une touche universaliste à ce qui est non seulement un des grands romans de la rentrée, mais probablement un des grands romans tout court de ces dernières années.



 

samedi 30 août 2025

LA VIE MONDAINE À LA BELLE ÉPOQUE (ALICE BRAVARD)


 On a pris l’habitude de baptiser cette période « Belle Époque », mais il serait illusoire de croire qu’elle fut belle pour tous (pour simplifier et pour ceux qui ont séché les cours d'histoire dans leur jeunesse, la tranche 1871 / 1914). Elle ne le fut pas toujours, belle, de la même manière selon les milieux sociaux. Dans son ouvrage, Alice Bravard s’attarde sur un groupe bien particulier : la noblesse, mais aussi cette petite bourgeoisie enrichie à la faveur de la République naissante et de l’effondrement du Second Empire. À la charnière du XIXᵉ et du XXᵉ siècle, ce sont eux qui dominent Paris, qui imposent leurs codes et qui façonnent l’image d’une capitale cosmopolite où le luxe, la volupté et l’ivresse des arts paraissent régner en maîtres.

Le lecteur a l’impression de pénétrer dans un univers parallèle, où la dépense effrénée est devenue la forme la plus éclatante du prestige. Les mariages arrangés servent d’ascenseur social express, tandis que successions et absence d’impôts sur le revenu ou le patrimoine assurent la pérennité stratégique des grandes fortunes au sein des mêmes dynasties. Ces lignées richissimes, célébrées dans les chroniques du Figaro ou du Gaulois, s’arrogent la première place sur la scène mondaine. Bravard décrit ce monde avec une lucidité implacable : une société qui sait sa condamnation inéluctable, mais qui joue la survie à coups d’alliances habilement nouées et d’intuitions financières sur les marchés de demain. Ce qui frappe, c’est que même au sein de cette élite privilégiée, une hiérarchie subsiste. Les vieilles familles, garantes d’une noblesse historique, regardent avec condescendance les nouveaux venus (capitaines d’industrie, banquiers ou affairistes. Les politiciens ou les artistes sont encore le plus souvent tenus en respect) qui ont conquis leur place à force de travail, de sueur et, pour certains, d’un zèle jugé un peu trop plébéien. Il existe donc mille manières d’être riche et autant de façons d’étaler sa fortune : à travers les bals, les salons, les chasses ou les séjours dans les stations thermales l’été, avant de regagner Paris pour l’hiver et le printemps mondain. C’est ce quotidien fastueux que l’ouvrage restitue avec précision, en évoquant dandys endimanchés, femmes du monde et familles qui tiennent salon avec la régularité d’un rituel. Et l’on s’aperçoit, en filigrane, que bien des comportements subsistent encore aujourd’hui, bien que plus discrets, moins ostentatoires et, il faut le dire, beaucoup moins raffinés. Car la noblesse d’antan a fini par céder la place à l’arrivisme carnassier des nouveaux riches. Ceux-ci possèdent des fortunes et des joyaux qui dépassent de loin ce que les chroniqueurs de la Belle Époque auraient pu imaginer, mais ils les exhibent avec une vulgarité assumée, à l’image d’un XXIᵉ siècle où l’élégance n’est plus qu’un lointain écho, synonyme de désuétude et de ridicule. Nous laisserons probablement dans l'histoire le sobriquet peu glorieux d'Époque putassière. 


lundi 25 août 2025

LA COLLECTION : MALADIE OU SAINE PASSION ?

 Si vous êtes un lecteur de comics, et donc par extension de bande dessinées, il y a fort à parier que non seulement vous dévorez ce genre d’ouvrages, mais qu’en plus vous avez une âme de collectionneur. Bien sûr, tout le monde n’entre pas dans ce moule. J’ai déjà croisé des lecteurs qui se contentaient d’acheter un album, séduits par une bonne critique, une jolie couverture ou un conseil d’ami, et qui, une fois la lecture terminée, passaient à autre chose : soit ils offraient le livre, soit ils le laissaient prendre la poussière, ou bien revenaient ponctuellement flâner au rayon BD, sans que l’idée de constituer une collection ne les effleure jamais. Mais soyons honnêtes : la plupart des amateurs de comics que je fréquente possèdent chez eux une collection impressionnante, qui peut aller de quelques étagères bien garnies… à plusieurs pièces entières, entièrement dévolues à une passion qui finit par devenir envahissante.



La première question à poser lorsqu’on aborde la collectionnite (le suffixe « -ite » laissant entendre qu’il s’agirait d’une maladie, une accusation qui reste à prouver) est la suivante : pourquoi collectionnons-nous ? Quel est ce besoin d’accumuler des objets (ici des bandes dessinées, pour d'autre les timbres ou les bouteilles de bière) au risque d’entretenir une insatisfaction chronique ? Car bien souvent, ce sont les pièces manquantes qui comptent davantage que celles que nous possédons déjà. Dès qu’une série s’avère incomplète, nous ressentons un besoin impérieux de combler ce vide, quitte à nous lancer dans une quête obsessionnelle. Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, une proportion non négligeable de mes livres ne sera probablement jamais relue. Avec le recul, certains ne méritent même pas d’être rangés parmi les œuvres marquantes qui m’ont laissé une trace durable. Alors, pourquoi les conserver ? Pourquoi garder des histoires qui n’ont pas marqué ma mémoire, et qui ne suscitent qu’un appétit tiède lorsqu’émerge l’idée d’une relecture ? Pourquoi ne pas les revendre, les offrir, ou tout simplement s’en débarrasser pour faire de la place à de nouvelles lectures plus conformes à mes goûts actuels ? Et puis, il ne suffit pas de collectionner : encore faut-il collectionner « correctement ». Dans nos bibliothèques, un ordre quasi sacré s’impose. Certains éditeurs l’ont bien compris, exploitant notre propension au fétichisme de l’objet pour nous pousser à investir dans des collections au packaging séduisant, parfois loin d’être indispensables. Mais répondons-nous simplement à un manque ? Est-ce une pulsion de fourmi qui nous pousse à accumuler, comme si nous nous préparions à un hiver atomique ? L’épisode du Covid, d’ailleurs, a rappelé l’intérêt de disposer chez soi de ses produits culturels favoris. La dématérialisation, cette inconnue.



Car oui, la possession matérielle joue un rôle essentiel. Sinon, quelle différence y aurait-il entre un album papier et son équivalent numérique, beaucoup plus pratique, léger, économique, copiable à l’infini ? Pourtant, ce qui n’est pas palpable, ce qui ne se sent pas sous les doigts, n’entre pas vraiment dans le domaine de la collection. Le rapport charnel, sensuel même, constitue la base de cette « maladie ». Le collectionneur est un Janus à deux visages : tourné vers le passé, il cherche à conserver les sensations et souvenirs de sa jeunesse ; tourné vers l’avenir, il rêve de transmettre ses trésors, quand bien même ils seront probablement revendus au premier héritier venu. Cette forme romantique de la collection a ma sympathie : elle tisse des ponts générationnels et préserve ce qui fut, avant que cela ne disparaisse. Mais aujourd’hui, le collectionneur de bandes dessinées est souvent un accumulateur compulsif, proie idéale pour des éditeurs malins. Dans sa logique, l’objet cesse d’avoir une valeur marchande dès qu’il intègre la collection : demandez-lui de vendre l’une de ses pièces rares, il vous rira au nez ou appellera la police. Et parfois, la logique frise l’absurde : certains comics sont scellés à vie pour ne jamais être lus, reniés dans leur fonction première. Le vertige s’installe devant les collections démesurées. Imaginez les 60 000 volumes que possédait Umberto Eco, bibliophile et collectionneur invétéré. En 2007, à la Foire du livre de Turin, il expliquait que les livres ne sont pas accumulés pour être lus, mais pour former « un dépôt où tout se mélange et génère un vertige, un cocktail de mémoire savante ». Une bibliothèque privée devient alors un organisme vivant, qui lit à notre place. En touchant, déplaçant, rangeant, cataloguant nos livres, nous en absorbons une part de contenu, par contact presque érotique. Mais cette logique, valable pour les grands classiques, peut-elle s’appliquer aux comic books ? À ces milliers d’aventures de super-héros en collants, électrisantes mais destinées à finir sur des étagères, ou dans des cartons privés de caresses ? Quel sens cela a-t-il d’acheter dix versions d’un même récit, sans s’attarder sur le travail de traduction, le choix du papier ou les vignettes minutieusement dessinées mais aussitôt survolées ? En vérité, les collections de comics sont des biens superflus, produits par la démocratisation de l’accumulation. Des biens dont l’absence ne manque à personne, hormis aux initiés. L’excès est facile : des rayonnages saturés d’histoires redondantes, de séries interminables, de pavés volumineux, qui confèrent soudain une importance démesurée à ce qui n’était qu’un divertissement passager. Voyez les mangas : lus puis abandonnés au Japon, ils deviennent en Europe objets de culte, soigneusement classés et conservés. On pourrait croire notre discours rhétorique et nostalgique, prônant le « less is more ». Mais à l’ère de la surconsommation, ce romantisme semble dépassé. Ne vaudrait-il pas mieux repenser la bande dessinée dans une logique de circulation, de partage ? Offrir, donner, transmettre, comme autrefois les revues kiosque qui passaient de main en main dans les cours d’école ? Place aux éditions abordables, aux numériques à lire puis supprimer, aux plateformes diffusant des œuvres qui n’entrent pas dans les circuits classiques.

La collection pose aussi un problème économique. S’abonner à tout, courir après les pièces rares, voilà qui coûte cher. Certes, revendre une belle collection peut être salvateur : Nicolas Cage, immense collectionneur de comics, a sauvé ses finances en cédant la sienne, avant de tenter de la reconstituer. Mais se séparer de certaines pièces reste toujours douloureux. La collection est aussi un lien intime avec le passé. Sur mes propres étagères, certains récits sans grande valeur artistique demeurent précieux, car ils me renvoient à mon adolescence. Ce sont mes madeleines de Proust, classées par ordre alphabétique. Leur simple présence me permet de me reconnecter à une part de moi-même (Le Défi de Thanos !). Le revers, c’est le déménagement. Emballer des milliers de volumes est une épreuve quasi herculéenne, doublée de l’angoisse de voir des cartons abîmés. Voilà sans doute le meilleur argument en faveur du numérique : si l’essentiel est de garder une trace, quelle différence entre un fichier et un livre papier ? Reste que la collection est l’expression la plus flagrante — et paradoxalement sincère — de notre matérialisme. Comme le rappelle Fight Club, « les choses que nous possédons finissent par nous posséder ». Vue négativement, la collection est un esclavage ; vue positivement, elle est un écrin de rêves et de bonheurs. Tant qu’elle ne met pas en danger nos finances et qu’elle trouve sa place dans nos murs, elle demeure surtout un prolongement de nous-mêmes, une extension tangible de notre imaginaire. Vu de l’extérieur, cela peut sembler étrange, excessif. La vérité n'existe pas, encore moins en ce domaine. 



jeudi 21 août 2025

Y A-T-IL UN FLIC POUR SAUVER LE MONDE ? : TROP TARD ?

 Comme vous n'êtes pas sans l'ignorer, le fond est tout aussi important que la forme. Par exemple, au moment de la sortie d'un film, toute la campagne de promotion peut s'avérer capitale en vue de décrocher un succès escompté. Avec la résurrection de la franchise des y a-t-il un flic pour sauver (cette fois le monde), les producteurs ont pu s'appuyer sur une romance gérontophile entre les deux acteurs principaux du long-métrage. D'un côté Liam Neeson, dont la longue carrière a été marquée par une ribambelle de rôles de justicier inflexible et névrosé, qui ont fini par en faire une sorte de caricature à la mâchoire serrée, toujours prête à en découdre. De l'autre, Pamela Anderson, qui restera à jamais dans l'esprit de la plupart des gens cette bimbo à la poitrine peu farouche et plantureuse, qui court en maillot de bain pour sauver des vacanciers prêts à se noyer pour quelques secondes de bouche à bouche. Tous les deux ont aujourd'hui l'opportunité de casser leur image : le premier dans un rôle comique qui tranche avec l'essentiel de ce qu'il a fait jusque-là, la seconde tente de faire effacer son image de blonde décérébrée pour enfin accéder à une certaine forme de notoriété/dignité professionnelle. Il paraîtrait que les deux amants, désormais (presque) en possession d'une carte vermeil, ont connu un coup de foudre tardif durant le tournage. On leur souhaite bien du bonheur et on constate en effet qu'il existe une certaine synergie à l'écran, qui est une des raisons pour laquelle aller voir cette comédie loufoque, qui récupère tous les codes du genre, les recycle assez souvent avec brio et enthousiasme, mais qui du coup peine complètement à surprendre, puisque ce sont des choses que nous connaissions déjà. Des blagues potaches que certains d'entre nous attendent goulument et que d'autres vont revoir débarquer un peu comme un cheveu dans la soupe, car ce qui nous faisait rire aux éclats il y a 30 ou 40 ans peut-il encore aujourd'hui nous arracher un sourire ? Je citerai juste mon expérience durant le visionnage du film, pour apporter un début de réponse. Il y avait une trentaine de spectateurs en fin d'après-midi, il s'agissait du troisième jour d'exploitation et hormis un léger fou rire isolé, à un moment donné, c'est surtout un silence assez glaçant et les bruits de bouche de tous ces cuistres qui s'enferment dans une salle obscure pour dévorer du pop-corn et faire péter leur taux de sucre dans le sang, qui ont occupé le devant de la scène acoustique. C'est un bon indicateur tout de même, pas des plus rassurants. Au menu, parce qu'il faut que je vous en touche un mot aussi (accessoirement), on retrouve Frank Drebin, flic aussi subtil que le dernier album de Patrick Sébastien, qui s'emploie pour sauver les États-Unis d’un milliardaire complètement dingue. Drebin Jr. en réalité, censé être le rejeton du personnage incarné par Leslie Nielsen. Une filiation qui est au cœur de deux des scènes les plus réussies du film. Lorsque tout les flics du commissariat rendent hommage à leurs ancêtres respectifs (l'occasion de placer une banderille en direction d'O.J.Simpson) et dans le final, lorsque Neeson se retrouve suspendu aux serres d'une chouette qui serait potentiellement l'esprit de son paternel. C'est tellement régressif et idiot qu'on adhère. Bref… une sorte d'Elon Musk de pacotille et ses acolytes mettent au point un plan machiavélique pour contrôler les foules et pratiquer d'une forme d'eugénisme mondial, grâce à une invention révolutionnaire, et la police spéciale confie à Drebin la mission de l’arrêter. Malheureusement, son sens de l’investigation est aussi fiable qu'un TGV qui roule sur le réseau sud-est en période de canicule : chaque piste tourne à la catastrophe. Explosions accidentelles, infiltrations ratées et interrogatoires qui dégénèrent, Drebin progresse quand même, souvent malgré lui. L’affaire se corse quand il croise Beth (Pamela Anderson, donc), une séductrice aux motivations troubles qui n'est pas insensible aux charmes surannées du flic gaffeur. Ensemble, ils vont déjouer les plans des odieux méchants de l'histoire. Au rythme d'un gag toutes les vingt secondes, souvent lourdingues, dans le plus pur esprit de la recette gagnante d'il y a trente/quarante ans. Le plus étonnant dans cette aventure ? L'impossibilité de formuler un jugement pertinent et équilibré. Après tout, vous savez pourquoi vous avez acheté votre billet, vous devez réaliser qu'après l'heure, ce n'est plus nécessairement l'heure, alors ne venez pas non plus vous plaindre. Débranchez tout, et vous sourirez (un peu).