vendredi 10 décembre 2021

HOUSE OF GUCCI

 🎬 House of Gucci (de Ridley Scott)

Avec House of Gucci, Ridley Scott tourne autour de son sujet, hésite à choisir un véritable angle d'approche. Maurizio Gucci, l'héritier de la grande famille toscane, qui a su donner un second souffle à la marque, avant d'être assassiné, refroidi par balles? L'ascension sociale et le besoin de reconnaissance de Patrizia, son épouse, qui a attisé toutes les querelles familiales possibles, dans son propre intérêt, jusqu'à décider de faire abattre son mari, une fois délaissée? Ou encore la dynamique entre deux cousins si différents dans la manière d'être (Maurizio et Paolo), de paraître, de calculer et d'avancer leurs pions? En fait, ce sera un peu tout au menu, ce qui explique les 2h 40 d'un film qui connaît parfois quelques longueurs et abuse de dialogues pas toujours heureux. Pourquoi ce choix absurde d'adopter un américain parasité par un accent italien au couteau, improbable et caricatural? C'est d'autant plus gênant avec Jared Leto, grimé au possible, dans un grand numéro de cabotinage bancal, entre commedia dell'arte et la Cage aux folles. Pour autant il y a du bon dans House of Gucci. L'image est soignée, le parcours de Maurizio cliniquement disséqué avec ce qu'il faut de retenue, de mise à distance, et pour autant ce fond d'empathie, pour un homme capable de refuser de danser avec le diable, tant que ce luxe lui est permis. L'affiche est tout de même celle des grands soirs : Adam Driver, Lady Gaga (en fait bien meilleure actrice que chansonnière) Al Pacino ou encore Jeremy Irons, dont on ignore s'il interprète le patriarche de la dynastie Gucci ou s'il est toujours dans le costume d'Ozymandias, de la série Watchmen (pour ceux qui l'ont vue, bien entendu...). Au final House of Gucci est fait d'ombres et de lumières. Classiquement organisé comme un double récit "rise and fall", celui de Maurizio et de la marque familiale, et celui plus intimiste de Patrizia Reggiani, qui de fille du peuple se glisse dans le tailleur ultra chic de l'épouse d'un magnat de la mode, ce (très) long métrage est aussi l'occasion de quelques jolis plans italiens, et d'interroger la perméabilité entre les couches sociales et le devenir moderne de ces grandes firmes comme Gucci, rachetées et pilotées par des fonds étrangers, dont sont exclues, voire bannies, les familles originelles. L'impression d'un film qui flirte avec la contrefaçon à la manière des sacs Gucci du marché de Vintimille. Personne n'est dupe du produit fini, mais ça peut faire bonne impression, et vendre du rêve, l'espace de quelques minutes.




samedi 6 novembre 2021

MONSTRES DE BARRY WINDSOR-SMITH (CHEZ DELCOURT)


Barry Windsor-Smith est un artiste aussi rare que talentueux. Cela faisait bien longtemps que nous n'avions plus de nouvelles véritables de ce grand maître de la bande dessinée américaine; il est de retour cette année avec Monstres, un ouvrage colossal publié aux éditions Delcourt. Cette histoire à beaucoup mijoté et il a fallu des lustres pour enfin aboutir au résultat définitif. Force est de constater que le jeu en valait la chandelle, l'attente est récompensée avec ce chef-d'œuvre de narration, qui place au cœur du récit la figure du monstre. Qu'il ne faut pas uniquement interpréter en tant que disgrâce physique, mais aussi manifestations de l'inhumanité et de la perversion qui résident en certains d'entre nous. Composé d'environ 360 pages, Monstres présente l'histoire d'une recrue de l'armée américaine qui se retrouve impliquée dans une expérience militaire secrète, initiée par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Un sergent tente bien de protéger les victimes de cette expérience, mais trouve toute une série de monstres sur son passage, au propre comme au figuré. La victime, c'est Bob Baley, un jeune homme au passé trouble, sans papiers d'identité, qui se présente au bureau de recrutement militaire avec l'espoir de servir son pays. On pense à un Steve Rogers taiseux et lunaire, mais ici point de sérum du super soldat et de grand destin, ce qui attend l'infortuné volontaire, c'est le projet Prométhée, qui a plus à voir avec la torture, les délires eugénistes du docteur Mengele, qu'avec la science proprement dite. Sa transformation sera radicale, et il deviendra un monstre. Difforme, énorme, mais aussi doté d'une force surhumaine, lui qui n'a plus grand chose d'humain, en définitive. La scène de l'évasion n'est pas non plus sans faire écho au célèbre Arme X qui place Wolverine dans une situation assez similaire; là aussi le pathos et le drame sont omniprésents, et la créature est prise en chasse, dans une optique de destruction. En fait, pour tout comprendre, il faut patienter. Les premières scènes de l'enfance de Bob, avec une maltraitance paternelle évidente, et des bulles de paroles austères en ce qui semble de l'allemand, trouvent une explication au fil des pages, qui font fi de toute idée de narration linéaire. On remonte le temps, repart de l'avant, rembobine à nouveau, et le processus dévoile, couche après couche, les motivations, les plis de l'histoire, les moments clés, de ce qui va être une tragédie, et un énorme gâchis. 


L'horreur des expériences est liée au délire nazi, puisque le responsable du projet Prométhée fut autrefois membre du parti national socialiste allemand, et ce que l'histoire nous dévoile de lui, progressivement, donne froid dans le dos. Un monstre de plus, capable des pires obscénités, et qui semble se repaître du malheur qu'il provoque. Entre ses mains, les malheureux "volontaires malgré eux" ne peuvent que souffrir atrocement, et mourir. L'idée première de ce Monstres glaçant remonte au milieu des années 1980, et c'était initialement une histoire centrée sur Hulk, avant d'être étoffée et révisée pour devenir distincte de l'univers narratif de Marvel Comics. Au fil des ans, Windsor-Smith a montré quelques planches de son projet, qui semblait pourtant en léthargie depuis trop longtemps. Mais fin 2019 l'auteur avait annoncé sa parution, sans indiquer le nom de la maison d'édition (Fantagraphics, aux States, Delcourt chez nous, donc). On y retrouve cette obsession pour le passé lourd de secrets et de douleurs, qui irradient jusque dans le présent, pour en noircir le quotidien. Tous les personnages sont ici pris dans une toile tissée depuis des années, parfois à leur insu. La famille Bailey, avec une histoire d'amour inavoué et inassouvi, poétique, un destin domestique si tragique et qui aurait pu être différent, avec d'autres choix plus clairvoyants. Le recruteur McFarland est aussi dans une situation similaire, lui qui est l'héritier d'une tradition familiale, celle des sensitifs, dotés de dons leur permettant d'entrer en communication avec d'autres plans de l'existence, de savoir et ressentir les choses, de manière surnaturelle. Involontairement, il va donner l'impulsion pour la descente aux enfers du jeune Bobby, en fuite de tout, de tous, sans le réaliser. Et pour le père du jeune homme, le passé est le grand traumatisme, là où il s'est perdu, où son esprit a cédé, devant l'innommable, ce qu'on ne peut voir et appréhender.  La narration s'offre aussi des excursions vers d'autres manières de faire, avec par exemple des pages entières extraites du journal intime de la mère de Bobby, où la sensibilité et la pudeur d'une femme se heurtent à son manque d'indépendance et aux injonctions d'une autre époque. C'est encore la corruption qui suinte de chaque page, de tous les micro récit qui se croisent et se complètent, et elle est "magnifiée" par le trait précis, très fouillé, par le jeu permanent des ombres dévorantes de Barry Windsor Smith, qui procède par petites cases serrées largement servies en dialogues, et qui s'alternent avec des moments explosifs et révélateurs, qui gagnent en espace et investissent la pleine page. Tout ceci pour offrir aux lecteur une œuvre dense et exigeante, qui ne peut être parcourue distraitement mais nécessite un réel investissement, y compris émotif. Le résultat en vaut la peine, tant il est splendide et touchant. 






SQUID GAME : REGARDE CE QUE TON FILS REGARDE

 🎬 Squid Game (Netflix) 

Vous avez peut-être découvert Squid Game le jour où votre petit dernier, élève de sixième au collège de Troufouillie les oies, est revenu à la maison avec une déviation de la cloison nasale et un double traumatisme crânien et thoracique. Les jeunes sont espiègles, ils s'amusent d'un rien. Ou alors c'est qu'ils s'inspirent de la série coréenne du moment, diffusée sur Netflix, et qui leur est pourtant interdite (mais encore faudrait-il que les parents lèvent le nez de leurs propres smartphones, pour que soit respectées les consignes élémentaires de sécurité sur le net). Écrite et réalisée par Hwang Dong-hyuk, la série se concentre sur de terribles mésaventures impliquant 456 personnes en marge de la société, qui décident de participer à un jeu de massacre aussi dingue qu'inattendu, pour gagner une somme faramineuse. Une récompense qui pourrait leur rendre un avenir, jusqu'ici bien sombre. Six épreuves en tout, six jeux en apparence anodins, pour ces Olympiades du désespoir (à commencer par un,deux,trois soleils en ouverture) où la défaite signifie aussi mourir, froidement abattu. Squid Game, c'est donc un récit de survie, de détresse économique, la version ultra torturée, gore et cynique de Parasite, récente palme d'or à Cannes. Là aussi la cassure entre ceux qui ont tout, et ceux qui n'ont presque plus rien (à perdre) assume une dimension tragique. La pauvreté et le besoin sont les leviers que manipulent les organisateurs, tout comme les ultra riches gagnants du capitalisme orchestrent nos vies, chaque jour, à la lisière de l'humiliation, et nous les remercions pour les quelques miettes qui tombent du festin dans nos maigres escarcelles. Homo homini lupus, et oubliez donc la solidarité, l'espoir, et envisagez plutôt d'accepter jusqu'où vous êtes prêts à aller, pour décrocher la timbale. Squid Game est en fait une série intelligente, horriblement contemporaine, qui parvient à mélanger camp de concentration et fête foraine géante (là où les joueurs sont détenus/accueillis), fascisme et révolution populaire, satire sociale et misère humaine. Votre petit dernier n'a probablement pas tout vu, tout compris, et il y a fort à parier qu'il s'est contenté de la touche avance rapide pour sélectionner uniquement les moments forts, l'hémoglobine et la violence. Autrement ce serait une très bonne chose, car il y a de belles envolées lyriques et une vraie science de la narration dans Squid Game. Qui je le répète, lourdement, n'est pas un problème en soi. Rambo n'a jamais provoqué l'apparition de millions de survivalistes en bandana, ni the Walking Dead l'apparition du cannibalisme dans les cours de récré. Par contre la bêtise et l'ignorance peuvent faire en sorte que des adultes aient peur de Squid Game, peut-être par paresse d'admettre qu'il existe un contrôle parental, ou que leurs enfants soient juste de sombres demeurés.



mardi 24 août 2021

DRIVE MY CAR : EN VOITURE AVEC RYUSUKE HAMAGUCHI

 



🎬 Drive my car (de Ryūsuke Hamaguchi)

Yusuke est acteur et metteur en scène, et il rencontre un succès certain. Il est marié avec Oto, mais le couple parfait s'est en réalité fissuré bien des années auparavant, à la mort de leur fille, âgée de 4 ans. Entre non-dits, parts d'ombre et de désirs, peur de perdre l'autre et impossibilité de verbaliser la tempête qui gronde à l'intérieur, les deux époux résistent, jusqu'à la mort d'Oto. Et là vous vous dites, en comparaison les frères Dardenne passeraient presque pour les réalisateurs du prochain OSS 117. Mais ce n'est pas tout. Yusuke se rend à Hiroshima, il est l'invité d'un festival théâtral où il a deux mois pour monter une pièce de Tchekhov. Là il est dans l'obligation contractuelle d'accepter d'être conduit chaque jour par un chauffeur, en fait une chauffeur (parce que chauffeuse ça fait bizarre) qui porte également en elle un passé réjouissant et une joie de vivre communicative. Il y a beaucoup de rhétorique dans Drive my car, curieusement chaque personnage est emmuré dans sa propre souffrance, et les mots sortent mais ne guérissent personne. C'est un film très élégant, très mesuré, sur l'impossibilité et tout autant l'inéluctabilité d'aller de l'avant, quand on a beaucoup perdu, sur comment se reconstruire, savoir si même nous en avons le droit, et à quel moment. La culpabilité et les actes manqués rongent le présent de ces individus qui se croisent le temps d'une parenthèse artistique, et les mots de Tchekhov sont là tour à tour pour accuser, penser (panser?) ou mettre en abime les tourments intimes des acteurs. Un instant vous hésitez et vous remettez à plus tard, l'instant d'après votre vie ne sera plus jamais la même, et il sera trop tard, éternellement trop tard. Drive my car, dans l'intimité de longs trajets en voiture, c'est la nécessité de scruter ce qui vient dès lors qu'il est trop tard, et d'imaginer la suite, malgré tout. Du coup le sujet étant particulièrement sensible pour moi, je ferai beaucoup moins le malin que d'habitude, et je vous invite à réserver trois heures de votre temps pour ce film touché par une certaine grâce, qui peut aussi faire office de cours de japonais grand débutant.

samedi 21 août 2021

ROCCO : LE DOCUMENTAIRE (ROCCO SIFFREDI - INTROSPECTION)

 🎬 ROCCO (documentaire de Thierry Demaizière et Alban Teurlai)



Le prénom se suffit à lui seul, le pseudonyme a éclipsé depuis longtemps la référence à l'incarnation d'Alain Delon. Rocco Antonio Tano est devenu une légende, un mythe, par la grâce d'un membre en béton armé, et d'une capacité olympique de s'en servir à volonté, dans toutes circonstances. Le documentaire affirme prendre le risque "de briser le mythe" mais en fait, il ne fait que le lustrer, en présente les failles et les faiblesses (entre larmes et confidences, la plus invraisemblable d'entre elles est carrément ... un viol, sans que cela ne semble déranger personne), le background familial et les excès. Bien entendu, une grande partie est consacrée à la dernière année d'activité de Rocco dans le milieu de l'acting X, encore que depuis il ait repris du service. Bien que spécialisée dans le rough sex, sa petite entreprise est montrée de manière bien joyeuse, et tant pis pour les ingénues à peine majeures qui débarquent des pays de l'est, et qui semblent si ridicules lors des castings qu'on ne les plaindra guère, appâtées qu'elles sont par le gain facile et la célébrité toxique. En fait une bonne partie du temps on se prend à rêver qu'on aimerait bien se substituer à lui, au moins un mois, histoire d'extérioriser ce qui chez 99% de la population lambda s'apparente à de la frustration ou du déni. C'est là que la figure de Rocco s'illumine et le documentaire se justifie. Dans cette perspective d'exutoire collectif, de sidération d'un public qui vit dans une société où tout est hyper sexualisé, mais où le sexe reste toujours aussi guindé et diabolisé par des siècles de joug judéo-chrétien. Rocco ne se pose pas de questions, si ce n'est pour le cadrage (l'occasion de maltraiter un cousin caméraman qui le suit partout et sert de gentil toutou à gronder) et les limites qu'il peut imposer à celles qui vont lui tomber entre les mains. En fin de parcours, on croise la route de Kelly Stafford, sorte de pendant féminin de Rocco, pour l'inversion de la problématique du dominant/dominé, qui nous amène à repenser la passion et la dévotion de l'acteur pour son métier, comme une dépendance, un esclavagisme accepté. De tout ceci, ressort un personnage (un homme?) attachant et éminemment sympathique en public, mais dont les zones d'ombre sont si noires et profondes, qu'il n'y a qu'un pas du libertin génial au prédateur insatiable. Perturbant mais fort intéressant.

vendredi 20 août 2021

OSS 117 ALERTE ROUGE EN AFRIQUE NOIRE

 🎬 OSS 117 Alerte rouge en Afrique Noire



Un aveu pour commencer, je n'avais jamais vu un seul OSS 117 il y a encore dix jours, et j'ai ingurgité la trilogie en guise de séance de rattrapage tardive. Ma foi, on se prend au jeu assez facilement, avec cet espion pastiche qui incarne à lui seul l'idée caricaturale de la France d'après-guerre, décomplexée et malaisante au possible, passée au crible des standards d'aujourd'hui. Le racisme ou en tous les cas le peu d'ouverture aux autres, c'est le moteur (avec la misogynie) du comique de ces films, qui fonctionne justement car à rebrousse poils d'un présent inclusif et mondialiste, où la censure peut briser des carrières sur la base d'un tweet sous alcool en fin de soirée. OSS intervient sans filtre, et l'espace d'une heure et demie, on peut rire de nos parents et grands parents devant un bon quinoa châtaigne bio de chez Naturalia (je persifle, mais je suis client moi aussi). Ici place à l'Afrique, avec des noirs "qui se ressemblent tous" et une vision ultra colonialiste de la géopolitique, sur fond de menace communiste, qui se prolonge en France avec l'élection imminente de Jean-Luc Mél ... pardon, de François Mitterrand, en 1981. J'ai tout de même filé six euros pour voir un troisième volet réalisé par Nicolas Bedos, pour qui j'ai une estime cinématographique équivalente à ma clémence politique envers Jean-Michel Blanquer, et pourtant, je n'en dirai pas trop de mal. Au contraire, je pense que ressusciter la franchise bien des années plus tard, pour en conserver l'essentiel, en la restructurant autour d'un conflit générationnel bien senti (avec Pierre Niney) et en gratifiant le public de quelques scènes dignes d'une anthologie OSS (celle au lit avec le  numéro du charmeur de serpent est tellement absurde que ça en est du génie), c'est tout simplement ce qui pouvait être fait de mieux, dans les circonstances. Parfois lourdingue et prévisible, Dujardin est toutefois plus crédible que jamais, et la mission est remplie, tout comme le cahier des charges est respecté.

jeudi 19 août 2021

BLACK ISLAND (SCHWARZE INSEL) SUR NETFLIX

 🎬 Schwarze Insel (Black Island) sur Netflix



Contre les attentes, il ne s'agit pas de l'adaptation cinématographique des "Aventures von Tintin, klein reporter" mais d'un thriller allemand situé sur l’île d’Amrum, en mer du Nord, pour le côté claustrophobe bucolique. Jonas est en terminale, et s'il est hébergé par son grand-père, ancien proviseur sur l'île, c'est parce que ses parents sont morts dans un tragique (mais y en a t-il de drôles?) accident de la route. Le jour où une nouvelle fraulein prof d'allemand remplaçante débarque, c'est tout un mécanisme de secrets enfouis, de manipulations féroces, et de séduction fatale, qui se met en place. Je ne blâme pas Jonas, à sa place j'aurais fait pareil. Ja Ja. Globalement l'histoire est glauque et la tension tient une petite heure, avant un final un poil précipité, moins intéressant. Je vous le recommande tout de même, pour passer une petite soirée en compagnie d'un film teuton, à déguster avec des petites kartoffels salées (des frites) et une bonne bavaroise (la bière, esprits tordus).

samedi 14 août 2021

TITANE : LA PALME D'OR DE JULIA DUCOURNAU

 🎬Titane (de Julia Ducournau)



Interdit aux moins de seize ans, palme d'or à Cannes, objet d'un concert de louanges et d'une fascination répulsive, le film est surtout un exercice stylistique et conceptuel : la transformation de personnages en corps, en masses charnelles maltraitées, comprimées, déformées, accidentées. La violence et l'horreur permettent ces métamorphoses, et se substituent au sens véritable, à l'intrigue même de Titane, qui finalement, si on le résume en deux ou trois phrases, est aussi déroutant que probablement incohérent. Agathe Rousselle et sa plaque en titane dans le crâne, Vincent Lindon en pompier culturiste et paumé, sont au centre des expérimentations de la réalisatrice, et exercent un attrait morbide, qui s'exprime dans la laideur, la souffrance, les failles béantes, le nu récurrent. L'esthétique prend très souvent le dessus sur les enjeux, sur la trame, et on a presque l'impression de se trouver devant le négatif horrifique et sérieux d'un long métrage de Quentin Dupieux. Il ne faut pas chercher à creuser, à analyser, à rationnaliser. Si Scarlet Witch a pu donner naissance à deux jumeaux avec la Vision (un androïde) chez Marvel, pourquoi ne pas présenter un accouplement avec une voiture rutilante, d'autant plus que c'est aussi le prétexte à une des scènes de sexe explicite les plus torrides de ces dernières années. Difficile de dire si Titane dérange vraiment, ou plutôt, pour être honnête, c'est le fait d'être dans l'impossibilité de formuler un jugement tranché et clair, qui me dérange personnellement. Une audace formelle décapante, qui ose beaucoup, mais est-ce suffisant pour qualifier Titane de vrai grand film abouti? Là est le doute.

jeudi 12 août 2021

LOKI : LA SERIE SUR DISNEY +


Quand on est aussi le prince du mensonge, un dieu de la duperie, il n’est pas si surprenant d’être concerné par l’existence de lignes temporelles parallèles. Chacune de vos décisions, chacun de vos petits arrangements avec la réalité sont autant de possibles, c’est-à-dire d’interprétations qui deviennent « de facto » ce qui est, par votre bon vouloir, ou votre talent. Loki a cependant une certitude des plus funestes, quoi qu’il désire. Thanos sera sa fin, a été sa fin, alors face au Titan fou, point d’échappatoire, plus d’avenir, plus de ruses. La fuite est toujours possible, mais elle ne fait que repousser l’inéluctable. Et faire joujou à travers les couloirs du temps pour s’y préserver un espace de subsistance ou les moyens de rebondir, c’est aussi et surtout l’assurance de se faire prendre la main dans le sac, par le TVA (Time Variance Authority), un tribunal temporel un peu baroque, où de nombreux agents (dont le bien nommé Mobius, c’est-à-dire Owen Wilson) sont en charge de la préservation de la pureté chronologique. Si vous n’êtes pas au bon endroit, ou serait-il plus exact de dire si vous n’êtes pas au bon moment de votre existence, vous êtes considérés comme un « variant » (jamais choix de terme n’a semblé plus pertinent et narquois en ces temps de pandémie si répétitive), c’est-à-dire une variation sur un thème, joué à un moment incongru de la partition, et susceptible de mettre en péril toute la symphonie…

Loki est loin d’être tout puissant, que ce soit en raison de ses origines, son passé, qui sont autant de failles béantes qui laissent à deviner une profonde solitude et un déterminisme écrasant, ou par ses actes récents, c’est-à-dire une cuisante défaite face à Thanos, une confrontation avec ces agaçants Avengers, et l’humiliation de la capture par le TVA et la captivité qui en découle. Des obstacles, des échecs, des moments faibles, que Loki ne peut dépasser autrement que par le sarcasme et se sentiment de supériorité sur autrui, qui n’est qu’une façade. Cela dit il est également plein de ressources, trouve régulièrement une possibilité pour exploiter les contingences extérieures et contaminer subtilement le réel pour le faire ployer dans son propre intérêt. Et c’est ainsi que Loki se retrouve à enquêter sur les agissements des Loki(s), c’est-à-dire toutes les itérations de lui-même, qui ont la fâcheuse tendance à semer un joyeux désordre, tout en survivant à peu près à tout dans le Multivers. Un de ces drôles de « variant » est une Loki au féminin (excellente Sophia Di Martino, qui interprète ce rôle avec une justesse et un rayonnement évidents), ce qui permet d’opérer à cœur ouvert, et d’examiner avec une curiosité amusée et tragique à la fois la rapprochement d’un être insensible (jusque là) et de lui-même. Les deux mêmes facettes d’une même pièce, qui se rendent compte subitement que leur véritable valeur dépend intrinsèquement de cette double identité, condition sine qua non pour donner du sens à l’individualité solitaire. S’aimer soi-même, le paroxysme du nombrilisme, permet ici enfin de s’ouvrir sur l’autre. Tout ceci est aussi le meilleur moyen d’adresser de franches œillades aux lecteurs de comics, qui savent bien qu’il existe depuis toujours une multitude de Loki(s) au format papier, et qui vont pouvoir se délecter à en reconnaître quelques-uns, en les croisant au fil des épisodes, entre avatars grotesques, improbables, ou terriblement tragiques. 



Les deux premiers épisodes nous promènent à l'intérieur des murs claustrophobes et aliénants du TVA (Time Variance Authority), une organisation qui est donc là pour empêcher la création du multivers et conséquemment le chaos. Curieusement, ce chaos est nécessaire, voire vital, pour les plans des Marvel Studios, qui tablent franchement sur ce concept pour aller de l’avant sans se prendre les pieds dans le tapis de leurs ambitions . Loki de son côté a toujours occupé le rôle du monstre, le méchant, portant le masque complet avec des cornes. Mobius révèle ses faiblesses et sa fragilité, lève le voile et découvre un homme sous les traits d'un dieu. Le revers de la médaille, c'est la liberté, incarnée par Sylvie (Loki au féminin). Elle est en fuite depuis qu'elle est enfant, car le TVA l'a privée d'une vraie vie, elle qui n’était pas prévue pour exister. Tout comme il n’était pas prévu que Loki puisse changer, évoluer, et vivre vraiment, lui également. Les deux Loki(s), dans leur fuite des agents du TVA, retrouvent une petite lueur de liberté et de justice. Ensemble, ils complotent pour renverser un système louche et corrompu. Parce que le bureau temporel n'est pas ce que tout le monde croyait ; un peu comme le SHIELD sous la direction secrète d'HYDRA. Les systèmes autoritaires de l'univers cinématographique Marvel cachent toujours un côté sombre. Lamentis-1, refuge post apocalyptique des personnages, devient ainsi la métaphore d'un monde qui s'effondre et de la série en elle-même. Un univers au bord de l'apocalypse, et deux « héros » qui courent sans arrêt pour s'échapper et changer l'histoire. Sauvés puis emprisonnés par le TVA, Loki et Sylvie découvrent deux précieux alliés en la personne de Mobius et B-15. Le personnage joué par Wunmi Mosaku, tout d'abord mentalement contrôlé et reformaté, avait en effet été « libéré » par la déesse Sylvie/Loki, découvrant ainsi la supercherie de l'organisation pour laquelle elle a sacrifié sa vie : tous les agents ne sont que des variants retirés de leur chronologie première. Le vaste mécanisme de préservation des lignes temporelles ne serait qu’un carcan, une vaste blague, un jeu dont les règles restent inconnus aux pions qui s’agitent sur l’échiquier, tandis une secrètement quelqu’un tire les ficelles de toutes les marionnettes, de toutes les lignes temporelles possibles ? Vous avez dit Kang ? 

C’est ainsi que le dernier épisode de la série, très bavard, statique, et centré sur une confrontation idéologique et un choix cornélien à opérer, est en fait le vrai début de la prochaine phase de l’univers Marvel. Loki et Sylvie font la connaissance du grand contrôleur de toutes les réalités (He who remains), le marionnettiste qui agite toutes les ficelles. Ce n'est autre qu'un être humain doté de grandes compétences scientifiques et technologiques, petite déception philosophique. En fait, on apprend que c'est lui qui a découvert les méandres du Multivers et fait la connaissance le premier de ses propres variants. L'idylle s'est vite terminée, car toutes ces variants n'avaient pas la même vision de la paix et de l'échange mutuel. Ainsi commença une guerre pour la suprématie, et la soif de conquête l'emporta sur la raison. Pour éviter la catastrophe, notre pseudo Kang/Immortus a trouvé un moyen de mettre fin au conflit : annihiler le Multivers et garder une seule chronologie « canonique ». Cependant, fatigué de son rôle, il propose aux deux Lokis de le remplacer et d'empêcher une autre version de lui-même de faire à nouveau des ravages. Notre Loki à nous (Tom Hiddleston) semble presque accepter son rôle, mais Sylvie n'abandonne pas et élimine "le tyran" qui lui a enlevé sa liberté. C’est ainsi que Marvel place ses billes, rafle la mise, et voit son avenir tout à coup s’éclaircir. Une décision qui ouvre la porte à tous les possibles. Remplacer n’importe quel acteur ou personnage par un nouveau venu ou une nouvelle mouture, sans trop devoir fournir d’explications. Effacer la chronologie établie, ou repartir sur de nouvelles bases. Rendre à l’ensemble de l’univers cinématographique pathos et réels enjeux, après la disparition de Thanos, en instaurant un Kang tout puissant, dont l’ombre de la menace n’a même pas encore commencer à planer sur la tête de tous nos héros. Bref, Loki est nos seulement une série agréable à suivre, mais l’indispensable clé pour accéder au niveau supérieur, comme dans ces vieux jeux sur Super Nintendo, où tuer le boss final de chaque niveau n’était que le préambule à la suite de la partie. On va en voir de belles, vous voulez parier ?