Évanouis de Zach Cregger semble susciter l'adhésion en cet été caniculaire : c'est l’un des meilleurs films d’horreur de l’année (avec Betharram et les jours fériés de François Bayrou) et un projet que son réalisateur décrit sans détour comme « ambitieux » et « gigantesque ». L’ambition se paie ici en complexité : plus de deux heures d’un récit éclaté, qui finit pourtant par livrer une explication claire au mystère initial. Claire, à condition d'avoir l'esprit ouvert, cela va de soi.
Cregger, déjà remarqué avec Barbarian, présente ici comme un cauchemar polifonique qui commence à 2 h 17 du matin, dans le lotissement tranquille de Maybrook, en Pennsylvanie. Les portes de dix-sept maisons s’ouvrent simultanément : les enfants d’une classe de primaire (tous sauf un, Alex. En France ils seraient 35) sortent en courant vers un point invisible… et disparaissent. La communauté, en proie à la peur et à la suspicion, désigne vite une coupable idéale : Justine Gandy (Julia Garner), institutrice de la classe. Parmi ses accusateurs : Archer (Josh Brolin), père d’un des disparus. Comme d'habitude, ces gauchiasses de professeurs ne peuvent que cacher de lourds secrets. La structure du film, volontairement éclatée, suit un montage non linéaire qui alterne les points de vue : Justine, Archer, Paul (Alden Ehrenreich), policier local et amant de Justine ; James (Austin Abrams), petit voleur du quartier ; Marcus (Benedict Wong, échappé de Docteur Strange), directeur de l’école ; et enfin Alex, le seul enfant gamin qui ne s'évanouit pas et qui va servir de fil conducteur pour un final gore et grandguignolesque. Mais le personnage le plus dérangé et dérangeant, c'est bien entendu Gladys (Amy Madigan). Introduite par une série de visions cauchemardesques à la David Lynch, elle finit par faire son entrée réelle dans le récit, et c'est le point de bascule du long métrage. Perruque, maquillage outrancier, allure de mamie Joker fatiguée : elle se présente comme la grand-tante d’Alex, bien que le père affirme ne l’avoir vue qu’une seule fois, quinze ans plus tôt. Gravement malade, elle est accueillie par la famille. Bien mauvaise idée… dès lors, l’étau se resserre. Gladys, ici, n’est pas qu’un personnage inquiétant : elle devient une force de manipulation pure qui transforme ceux qu’elle contrôle en véritables armes. Archer, sous son emprise, en vient à tenter de tuer Justine. L’horreur prend alors des accents de parabole : Gladys incarne un parasite social, opportuniste et cynique, reflet déformé d’une société où l’altruisme s’étiole, et où la fracture entre enfants et adultes devient abyssale. Cregger met en scène un sacré chaos avec une caméra "embarquée" qui glisse dans les couloirs, les ruelles et les bois, épouse des trajectoires imprévisibles pour maintenir le spectateur dans un état d’alerte permanent. On sent qu'il a tout pompé (pardon, s'est inspiré) chez Stephen King, pour la chronique poisseuse de la province américaine, ou chez Sam Raimi pour l’excès gore et le bricolage un peu cheap. La seconde partie perd en mystère mais gagne clairement en horreur et en adrénaline, traversée par un humour grotesque et des scènes de possession qui hérissent les poils du dos tout en déclenchant des rires nerveux. Gladys est fascinante, mi-cabotine, mi-démoniaque, elle déroule un mélange macabre de burlesque et de menace. Évanouis ne se contente pas de faire peur : il fonctionne en partie comme le miroir impitoyable d'une Amérique rongée par ses propres fantômes : le film laisse derrière lui un écho persistant, une drôle d'odeur, comme un cauchemar bouffon dont on se réveille… sans pour autant choisir la carte consensuelle de la happy end à tous les étages. Reste cette certitude, ce conseil désormais validé par plusieurs décennies de cinéma de genre : quand vous vous trouvez nez à nez avec un individu trop louche, fardé ou accoutré de façon à ressembler vaguement à un clown, plantez-lui directement une fourchette dans les deux yeux, vous gagnerez un temps fou, ou simplement quelques minutes de répit.

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