mercredi 22 mai 2024

MARCELLO MIO (de Christophe Honoré)

 Marcello mio (de Christophe Honoré)


Début de critique on ne peut plus pompeux chez les Inrockuptibles, qui se sont fait une spécialité du genre, au point de se parodier avec le plus grand sérieux. Ainsi, le nouveau film de Christophe Honoré "convoque le thème du deuil". J'aime beaucoup l'emploi absurde du verbe convoquer, comme si en lieu et place du réalisateur et de son film, on se retrouvait face à la police judiciaire. Pour faire court, Chiara Mastroianni marche sur les traces de son père, dont elle interprète le rôle, tout en étant lui sans vraiment l'être. Ce n'est pas clair ? Disons que le jour où sur un tournage la réalisatrice Nicole Garcia lui fait comprendre qu'elle aimerait que son jeu se rapproche plus de Mastroianni que de Deneuve (sa mère), elle entreprend de ressusciter la figure du paternel dans une improbable version queer. Son meilleur ami en tant que Marcello, c'est Fabrice Luchini, tandis que les hommes de sa vie (Biolay, Poupaud) viennent seconder ou questionner sa douce folie. Bref, Marcello mio se veut un hommage, un exercice d'art poétique, mais devient peu un peu la confirmation, si besoin il en était encore, du formidable pouvoir de la consanguinité qui régit le cinéma. Derrière les mythes, ce sont les fils de, cousins de, petits fils ou protégés de, qui prennent la relève et entretiennent la légende. Grande sauterie endogène ou gâteau bien crémeux à ne surtout pas partager avec le premier manant venu. On pourrait relier tout ce joli monde, sauter de l'un à l'autre en empruntant les couloirs de la génétique ou des relations, pour obtenir en fin de compte l'ADN d'un système, d'un microcosme qui n'est pas très reluisant quand on y regarde de près. D'ailleurs, à quoi sert Cannes et ses paillettes, si ce n'est vous dégoûter du cinéma ? Honoré rend pour sa part une copie qui a tout pour plaire aux professionnels, ou à ceux qui écrivent dans la presse d'une main et se caressent l'entrejambe avec l'autre. Mais pour le spectateur averti et un tant soit peu honnête, Marcello mio apparaîtra boursoufflé, très inégal, souvent creux, voire même, dans ses dernières minutes, d'une prétention irritante. Reste un petit jeu de pistes, les images d'une carrière, des acteurs qui mettent leurs égos en abîme. C'est quand même assez peu, mais on imagine qu'ils ont passé de très bonnes vacances arrosées, tous ensemble, le temps du tournage. C'était l'essentiel, Christophe ?



mardi 21 mai 2024

EDOUARD LOUIS : MONIQUE S'EVADE

 Édouard Louis : Monique s'évade


Édouard Louis est un auteur un peu particulier : il creuse encore et toujours le même sillon. Ses propres expériences, son vécu, sa famille, comment il est devenu un exemple éclatant de transfuge de classe, la trajectoire qu'ont connu ses parents, la manière dont le déterminisme social use et abuse des corps et des esprits. Pour certains, la démarche est redondante, voire franchement irritante et on n'est jamais très loin de cette frontière mince qui sépare le texte puissant et sincère d'une forme de voyeurisme nombriliste. On flirte avec la lisière mais on reste toujours du bon côté; et c'est une des forces de cette écrivain. Une autre, plus importante, c'est de mettre en lumière l'invisible, de donner la parole à ceux qui ne sont jamais au centre des récits, de raconter non pas ce qui ne peut pas l'être mais ceux qui ne peuvent pas l'être, le quotidien d'individus à qui on réserve toujours le rôle muet de figurants à l'arrière-plan. Ici, il s'agit de la fuite de Monique, sa mère, qui s'était remis en ménage avec un nouveau compagnon tout aussi violent, ivrogne et ordurier que son ex-mari. Être capable de s'en aller, rebâtir une vie, reprendre possession des éléments les plus banals de l'existence qui avaient été confisqués par l'absence d'alternative. Par "le prix de la liberté" que tout le monde n'a pas les moyens de payer. Le ton est simple, direct et malheureusement touchant de vérité. J'ai reconnu, comme toujours chez Édouard Louis, certains souvenirs de jeunesse, même à travers les mots. Seul bémol : un livre qui se lit très rapidement et qui coûte 18 €... la littérature, parfois, n'est pas pour tous.



dimanche 19 mai 2024

BRET EASTON ELLIS : LES ÉCLATS

 Bret Easton Ellis : Les éclats


Le dernier roman de Bret Easton Ellis est disponible au format livre de poche, ou plutôt devrions-nous dire bottin téléphonique, puisqu'il comprend environ 900 pages. Il suffit de lire les 30 premières pour comprendre que nous sommes bel et bien en terrain connu et balisé. Il y est question de substances stupéfiantes, d'alcool, de dépression et d'apathie, de name/brand-dropping et d'une jeunesse dorée qui roule en Porsche et découvre les émois des corps, notamment du point de vue de garçons qui désirent d'autres garçons. Nous sommes au début des années 1980 et il s'agit d'une vraie fausse biographie : Bret nous relate son adolescence, lorsqu'à l'âge de 17 ans, il fréquentait un des lycées huppés de la Californie pour son année de terminale (et préparait son premier roman, Moins que zéro, par la même occasion). On y découvre son cercle d'amis et au-delà de la banalité apparente des rapports qui s'établissent entre eux, on s'attache très rapidement à cette joyeuse brigade de stéréotypes souriants et bronzés. Ceci jusqu'à ce que débarque un nouvel étudiant, Robert, qui va faire basculer le roman dans une sorte de délire paranoïaque, d'enquête policière, de chronique gore. C'est que dans le même temps, plusieurs jeunes filles ont été enlevées et ont subi d'atroces tortures, avant d'être retrouvé trucidées dans des mises en scène sordides. Le trawler, un tueur en série, opère suivant un rituel dont plus ou moins tout le monde semble se ficher éperdument. Robert est clairement le suspect numéro 1 aux yeux de Bret, mais à ceux des autres, c'est un garçon doué, affable et particulièrement beau, rien de plus. La langue n'a rien de complexe, Ellis écrit comme s'il était en train de vous parler et sa chronique, parfois redondante, fini par devenir ensorcelante. Les scènes de dialogue alternent froide colère et tension glaçante, le petit cocon douillet et superficiel est lacéré et semble pourrir de chapitre en chapitre. . Une réussite complète, pour peu évidemment que l'on soit sensible au vrai faux style d'un écrivain qui divise depuis ses tous premiers écrits. Et qui continue d'extraire de la matière surprenante, de la vacuité et fatuité qui l'entourent. Le néolibéralisme et ses névroses, la cuillère en or bien enfoncée au fond du palais.



vendredi 17 mai 2024

LE DEUXIÈME ACTE (de Quentin Dupieux)

 Le deuxième acte (de Quentin Dupieux)


Et voici déjà venir le 13e film de Quentin Dupieux, qui réalise à la vitesse de l'éclair et se permet même de faire l'ouverture du Festival de Cannes, avec "Le deuxième acte", hors-compétition toutefois. Ce coup-ci, Mr. Oizo nous propose une mise en abyme du monde du septième art, avec quatre vedettes connues de tous : Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel et la new entry (pour les spectateurs, pas chez le réalisateur) Raphaël Quenard, qui a pris une dimension exceptionnelle en 3 ans. Il s'agit d'un film dans le film, c'est-à-dire que ce que nous voyons à l'écran est en fait le tournage d'un long métrage, le premier officiellement et intégralement réalisé par l'intelligence artificielle. Les acteurs sont censés interpréter des interprètes qui dérapent au beau milieu de scènes qu'il devraient normalement jouer. Je ne sais pas si jusqu'ici, vous me suivez. Ce qui est une banale histoire sentimentale devient rapidement l'occasion de brocarder la cancel culture et toutes les problématiques éthiques et professionnelles qui traversent la profession. Un film très péripatéticien dans sa première partie puisque on y devise en mouvement, saisi par une caméra qui accompagne les remarques et les déambulations de deux duos (Quenard/Garrel et Lindon/Seydoux), ce qui permet à la fois d'expliquer au spectateur les enjeux de l'ensemble tout en balançant un nombre incalculable de punchlines et de petites piques qui font mouche. Je ne ferai pas durer le suspense, j'ai réellement apprécié ce "deuxième acte", comme par ailleurs j'ai systématiquement aimé tous les derniers films de Dupieux, qui est parvenu, au fil du temps, à trouver la quadrature du cercle sans renoncer à l'absurdité et au surréalisme de son cinéma, qui l'ont rendu célèbre. Il a réussi peu à peu à dégager de réelles intrigues, même si toujours traversées par des préoccupations esthétiques et cinématographiques assez insolites; désormais, on peut vraiment se poiler et parler de cinéma presque abordable par tout le monde. Pour autant, sans tomber dans le compromis, sans aguicher bêtement le quidam. "Le deuxième acte" se permet même le luxe de monter en puissance progressivement et n'ennuie jamais, pas une seule seconde, même si on y parle beaucoup et que la parole en constitue le ressort fondamental. On serait bien bête de prendre le cinéma trop au sérieux et Quentin Dupieux l'a bien compris (ses acteurs se moquent par ailleurs de leurs propres défauts et les caricaturent avec plaisir, comme les tics de Lindon ou les pleurs systématiques de Seydoux). Un sourire désinvolte et ironique qui cache, c'est paradoxal, un réel savoir-faire couplé à de vrais ambitions.



vendredi 10 mai 2024

UN P'TIT TRUC EN PLUS (De Artus)

 Un p'tit truc en plus (de Artus)


Tout le monde vous le dira, le film d'Artus cartonne. Du reste, ce n'est pas tous les jours que le public applaudit à la fin de la séance un film déjà à l'affiche depuis presque 10 jours : ça m'est arrivé aujourd'hui, même si bien évidemment, ça n'est pas un gage de qualité absolue, vue la médiocrité habituelle des spectateurs du Pathé Gaumont Libération (là où passent les longs-métrages pour la famille, ceux un plus pointus sont réservés à Masséna). Le fait est qu'il est toujours assez jouissif et en même temps touchant de se moquer ou de tourner en dérision les personnes en situation de handicap (vous avez vu, je maîtrise la novlangue). Il y a comme une forme de catharsis à rire, tout en se réjouissant d'être du bon côté du code génétique. Ici le regard se porte sur une communauté assez oeucuménique : on y trouve des "handicaps" pour tous les goûts; de la trisomie à la chaise roulante en passant par les troubles mentaux. Clovis Cornillac et Artus interprètent un père et un fils en cavale, après un hold-up foireux dans une bijouterie. Pour échapper à la police, le duo trouve refuge dans un bus qui emmène une communauté un peu particulière en vacances à la montagne, dans un charmant chalet. Tous les poncifs vont bien sûr y passer. Les pensionnaires sont très difficiles à gérer mais ils attirent la sympathie et leur différence les rend attendrissants. L'éducatrice en chef est bien gaulée et passe la moitié du film en position cambrée. Les liens se nouent et les carapaces se fendent. C'est extrêmement linéaire et attendu, mais comme il y a en effet un certain nombre de dialogues et de situations franchement drôles, on ne voit pas le temps passer et on ne s'étonne guère de voir ce film ultra calibré pour séduire le plus grand nombre obtenir un tel consensus. Sorte de "intouchables" à la puissance dix, fable gentillette sur le handicap qui peut s'avérer être une faculté cachée supplémentaire, Un p'tit truc en plus confirme que le public aime toujours être brossé dans le sens du poil, et qu'à l'instar des plats sucrés salés qu'il commande au restaurant, il ne dédaigne pas une bonne tranche de rigolade et quelques larmes au coin de l'œil. Il y a un savoir-faire indéniable là-dedans, à défaut d'y trouver de l'originalité.



mercredi 1 mai 2024

BACK TO BLACK : LE BIOPIC SUR AMY WINEHOUSE

 Back to black (de Sam Taylor-Johnson)


Un biopic certes, un destin, absolument pas. C'est à peine si on peut parler de trajectoire. L'histoire d'Amy Winehouse est aussi banale que le film qui lui est consacré est académique. En réalité, l'adjectif qui s'applique le mieux est pathétique. Être hors du commun, avoir une "personnalité" originale, sortir du cadre, ça n'est pas seulement se recouvrir le corps de tatouages ou se balader le nombril et les fesses à l'air dans Camden village, du matin au soir. Alors certes, Amy a une voix incroyable, puissante. Mais un organe ne fait pas la femme (ni même un homme, quoi qu'on en pense). Alors oui, la pauvre est issue d'une famille dont les parents ont divorcé, oui elle a perdu sa grand-mère qu'elle chérissait tant, oui elle a dû gérer les affres d'une rupture amoureuse… mais enfin, ne sommes nous pas en train de parler de la vie d'un peu tout le monde ? Sauf qu'ici, il faut rajouter, pour que le cocktail soit complet, de l'alcool au quotidien et à l'hectolitre, de la drogue, le strass et les paillettes, qui bien évidemment s'accompagnent de leur lot de paparazzi immondes et leurs intrusions dans la vie privée. On a tout de même du mal à comprendre où réside l'inattendu dans cette existence prématurément brisée. C'est navrant, on souhaiterait que cela n'arrive jamais à quelqu'un de 27 ans, mais enfin, quand tu conduis sans casque, sans permis et à toute allure dans les bouchons, l'issue ultime n'est-elle pas d'aller emplafonner un véhicule ? C'est un peu la même chose dans le cas de cette chanteuse à la personnalité fragile, voire transparente. Prête à se raccrocher à toutes les addictions possibles pour avoir le sentiment d'être quelqu'un, de servir à quelque chose. Évidemment, faute de mieux en tête, on finit généralement avec un couillon toxico dont la fréquentation n'augure rien de bon sur le moyen long terme. On ne le répétera jamais assez, mais vous pouvez chanter divinement bien, avoir une petite fortune, ou des abdos en acier voire un fessier tentateur, votre inconséquence fera que vous exploserez en vol, tôt ou tard. Je me rends compte que je me suis bien plus concentré sur le fond du film que sur la forme, mais faute avouée est à moitié pardonnée, d'autant plus qu'il n'y a presque rien à en dire, tant nous sommes dans l'indigence la plus complète, avec juste un numéro d'imitatrice assez réussi de la part de Marisa Abela, pour sauver les meubles. Bref si vous choisissez de rester chez vous devant Netflix plutôt que d'engraisser le Pathé Gaumont d'une bonne quinzaine d'euros, personne n'aura rien à vous reprocher, ce coup-ci.