mercredi 9 octobre 2024

ZORRO LA LÉGENDE ALEX TOTH : UN ZORRO PATRIMONIAL ET ÉLÉGANT

 Empruntons la machine à remonter le temps et rendons-nous en 1820, en Californie, pour retrouver le jeune Don Diego de la Vega qui vient tout juste de rentrer chez lui après plusieurs années passées en Espagne, où il suivait des études et pouvait assouvir sa passion pour les arts. Il est de retour à la demande de son père, l'homme le plus riche de la région, qui est particulièrement inquiet devant les agissements du nouveau commandant Monasterio, une sorte de petit dictateur imbu de lui-même et méprisant, qui met en danger la sécurité de tous les habitants du village de Los Angeles. Le Sergent Garcia est à ses ordres, un petit bonhomme replet qui obéit aveuglément à ses supérieurs mais qui est loin de posséder la même méchanceté, et dont la bêtise insondable lui procure souvent bien des désagréments. Impossible de critiquer l'œuvre de Monasterio ou de parler ouvertement de ce qui se passe, c'est-à-dire la corruption, sous peine d'être arrêté et considéré comme un traître. C'est ce qui s'est produit avec Nacho Torres,  un des voisins de la famille De la Vega. L'homme va toutefois être sauvé par un individu masqué et portant une longue cape noire, qui chevauche un cheval d'ébène, Tornado. Nous parlons bien entendu de El Zorro, le Renard, qui n'est autre en fait que Don Diego de la Vega : durant le jour, celui-ci fait tout son possible pour apparaître comme un riche désœuvré dans l'incapacité de poser des problèmes aux forces militaires, mais lorsque la nuit tombe ou que l'urgence le requiert, le voici devenir un bretteur d'exception, une sorte de justicier audacieux qui ridiculise tous ceux qui ont choisi de faire le mal, de la pointe de son épée. Il est aidé par son fidèle serviteur Bernardo, qui est muet et se fait également passer pour sourd aux yeux de ses adversaires, afin d'apprendre toutes les informations utiles pour la mission de Zorro. Gentil brigand dont les qualités sont au service du peuple et de la justice, Zorro est courageux et retombe toujours sur ses pieds. Il a un coup d'avance en toute circonstance, beaucoup d'imagination, sait se battre et affiche un sarcasme bienveillant qui contribue rapidement à sa légende.



Alors bien entendu la question de la double identité finit par devenir une épine dans le pied pour Don Diego de la Vega. Après tout, il n'est guère difficile de deviner qu'il est également le justicier masqué El Zorro : le Masque et la tenue de ce dernier ne cachent rien de sa taille, sa corpulence, sa bouche et sa fine moustache caractéristique. De quoi l'identifier, à moins d'être particulièrement distrait, d'autant plus que le jeune noble et le bondissant Zorro ne sont jamais aperçus au même endroit au même moment, sauf grâce à quelques subterfuges qui nécessitent beaucoup de crédulité… à un moment donné, on a même des silhouettes découpées dans du carton pour créer une illusion à travers la fenêtre, c'est pour vous dire l'ingéniosité des stratagèmes. Zorro doit aussi faire face à ceux qui aimeraient déstabiliser toute la Californie, pour ensuite la "vendre" au plus offrant. Il n'y a pas que la couronne d'Espagne qui est un problème dans une région où tout est encore à construire, pour ce qui est de la liberté et de l'égalité des chances pour tous. Zorro combat pour ces valeurs dans des histoires sommes toutes assez basiques, inspirées de la série télévisée, où il n'y a pas de place pour la nuance. Il y en a par contre beaucoup pour l'humour, notamment grâce au personnage du Sergent Garcia, qui n'est là que pour faire rire et dont l'incapacité totale de mener à bien la moindre tâche pose des questions sur la valeur des soldats déployés sur le terrain. Il va de soi que si aujourd'hui nous continuons de publier ces histoires, ce n'est pas seulement pour la qualité du scénario, mais principalement pour le travail graphique et le story telling du génial Alex Toth. Pour les vrais novices, sachez qu'ici vous aurez un aperçu brillant de la maîtrise absolue qu'il avait du récit, toujours sobre et efficace, sans avoir recours à l'esbrouffe ou des effets spéciaux qui alourdissent l'ensemble.  L'élégance, la plasticité et le dynamisme que l'on retrouve toujours dans ses personnages sont au service de planches d'un noir et blanc très efficace, d'une lisibilité absolue, et qui pourtant étaient loin de recueillir toutes les faveurs de l'artiste, qui en voyaient surtout les (rares) défauts. Qu'importe, Zorro, c'est lui et il en sera toujours ainsi. Nous trouvons également dans cet album une histoire inédite réalisée par Howard Chaykin au scénario et Eduardo Risso au dessin. Un petit hommage au personnage mais aussi à ceux qui l'ont inspiré, comme le Mouron Rouge, qui fait partie des meilleures surprises de l'ensemble. Il faut également mentionner la partie rédactionnelle de qualité et surtout très fournie, avec interviews, analyses, explications… ce ne sont pas les pages qui manquent pour contextualiser cette œuvre et vous en faire profiter au maximum. Bref, le travail éditorial accompli par Urban Comics justifie à lui seul que l'on donne une chance à cet album. Contenu et contenant se mettent au diapason pour ce qui est en soi un petit pan de l'histoire de la bande dessinée populaire, que l'on relira toujours avec ce plaisir charmant que procurent des pages au parfum rétro et pourtant encore modernes.




mardi 8 octobre 2024

LES BARBARES (DE JULIE DELPY)

 Les barbares (de Julie Delpy)


Vous le savez (mais peut-être que vous n'y croyez pas), je suis tout de même très bon public. Une comédie française d'esprit populaire, ça ne me fait pas peur, bien au contraire. Le pire avec "Les barbares", c'est qu'il s'agit d'un film qui atteint précisément son objectif, qui a parfaitement ciblé le public auquel il s'adresse et qui maîtrise quasiment tous les clichés du genre, pour retomber sur ses pieds. Il n'empêche, à vouloir gratter un peu, on se rend compte de l'impossibilité du cinéma français de se pencher sur certaines questions, comme celle des réfugiés, sans en tirer un scénario extrêmement consensuel où chacun interprète le rôle le plus stéréotypé possible et où l'évolution de la narration suit un schéma des plus classiques, qui se conclut par une happy end inévitable. Les racistes sont méchants mais auront l'occasion de se racheter; les immigrés sont très gentils, c'est juste qu'il faut prendre le temps de les connaître et ne pas s'arrêter à la façade (et encore, ici même la façade est rassurante); le français moyen est souvent ridicule mais prêt à se découvrir un cœur en or pour tendre la main à celui qu'il voit débarquer pourtant d'un mauvais œil. Quiconque aura fréquenté un temps soit peu la réalité aura remarqué que je viens de décrire un scénario de cinéma, et donc qu'il faut prendre Les barbares pour ce qu'il est, c'est-à-dire une fable gentillette qui fait souvent sourire et qui n'a certainement pas vocation à être transposable en l'état en dehors des salles obscures. Côté acteurs, nous retrouvons Sandrine Kiberlain et Laurent Lafitte, le même duo vu au cinéma il y a quelques jours dans l'avant-première de Sarah Bernhardt. Le septième art français est un petit aquarium dont les gros poissons sont bien décidés à manger les petits qui voudraient s'y aventurer. Pour le reste, vous le savez, il s'agit d'un synopsis assez malin : un petit village breton qui souhaite accueillir des réfugiés Ukrainiens se voit finalement attribuer une famille syrienne, puisque "les Ukrainiens sont très demandés partout en Europe, il n'y avait plus de cette nationalité en rayon". Cocasse, mais triste, car c'est exactement la réalité, tant aux yeux de la plupart des Français les Ukrainiens respectent les codes du bon réfugié, tandis que les Syriens sont forcément des terroristes en puissance. Et ça, ce n'est pas du cinéma.



dimanche 6 octobre 2024

MONSIEUR AZNAVOUR (De Mehdi Idir)

 Monsieur Aznavour (de Mehdi Idir)


Clap de fin pour le festival Cinéroman à Nice avec un divertissement populaire très attendu ici : le biopic consacré à l'une des figures les plus importantes de la chanson française de la seconde partie du 20e siècle, Charles Aznavour. Un enthousiasme porté par la communauté arménienne présente en masse pour l'avant-première du samedi soir. Pas si simple de transposer à l'écran la vie d'Aznavour; après tout, l'artiste est loin d'avoir commis autant de frasques que nombre de ses collègues. Pas d'overdoses ou de destruction systématique de chambres d'hôtel, juste la vie somme toute presque banale d’un compositeur et interprète convaincu qu'il pouvait réussir envers et contre tout (et tous), capable de défier les pires critiques aux relents racistes, d'imposer un physique et une voix qui semblaient le vouer à l'échec, tout en n'oubliant pas de faire fructifier son propre compte en banque. Aznavour aimait l'argent, ou en tous les cas il aimait le sentiment de sécurité que celui-ci pouvait lui apporter, à lui et à sa famille. D'autant plus que sa jeunesse a été scandé par les privations, la Seconde Guerre mondiale, le quotidien des immigrés en marge d'une France qui avance, pour qui chaque pas à accomplir était nécessairement plus éprouvant que pour tant d'autres personnes dans la population. Une revanche économique et sociale qui impose de faire des choix au détriment des affects, d'où l'idée d'atteindre un jour le sommet sans avoir réellement profité de l’ascension, ou en tous les cas en ayant trop souvent dû se contenter d'être présent sans vraiment l'être. Finalement, le film tient la route et même s'il peut sembler d'une banalité évidente sur bien des points, il a le mérite de conserver un rythme agréable, de proposer des acteurs tous très convaincants (dont un Tahar Rahim qui réinterprète Aznavour, sans pour autant l’imiter servilement). Ce n'est pas à priori le genre de long-métrage pour lequel je suis disposé à me briser les phalanges à force d'applaudir à tout rompre, mais il faut reconnaître que ce fut une séance plutôt plaisante, en présence de l'équipe du film.




vendredi 4 octobre 2024

LIMONOV LA BALLADE (De Kirill Serebrennikov)

 Limonov, la ballade (de Kirill Serebrennikov)


Agitateur, poète maudit, simple ouvrier, majordome, clochard, révolutionnaire crypto-fasciste, impossible de coller une étiquette à Limonov, un personnage qui grandit dans et se nourrit des marges de la société, qu'elles soient soviétiques (son enfance et ses premières années de l'autre côté du rideau de fer) ou chez les néocapitalistes, à New York ou à Paris, par exemple. Un parcours extrêmement chaotique, que beaucoup qualifieront de choquant, scandaleux, d'autant plus que la caméra de Serebrennikov ne nous cache pas grand-chose des (més)aventures du type, qui s'émancipe clairement de la grille de lecture judéo-chrétienne de nos valeurs, pour former les siennes propres, selon les circonstances. Et c'est bien là tout l'intérêt du film. Le parti pris esthétique, la manière d'assembler tous les fragments pour en faire quelque chose d'extrêmement vivant. Deux grosses heures qui défilent à toute vitesse, avec notamment une scène qui est à compter parmi les plus réussies et intelligentes que j'ai pu voir au cinéma ces dernières années ( la traversée des années 1980 et ses rebondissements politiques, absolument brillante). Toutes les transitions sont par ailleurs parfaites, la bande son colle admirablement bien aux images et l'interprétation de Ben Whishaw ne souffre d'aucune contestation. L'erreur serait de vouloir juger ce qui ne peut pas l'être, d'autant plus que l'attitude qui consiste à porter un regard paternaliste sur le démembrement de l'ex Union Soviétique et le délitement post effondrement du mur de Berlin serait non seulement d'une insondable bêtise artistiquement parlant, mais aussi aux yeux de l'histoire. La conversation entre Emmanuel Carrère, qui fait une apparition furtive, et Limonov à l'écran, résume tout cela en 30 secondes, avec brio. Le film sort en février et il faudra absolument que vous vous déplaciez pour le voir. Pour le reste, 0 pointé pour le festival Cinéroman à Nice, qui promettait une projection en avant-première, en compagnie de l'équipe du film, et qui tout comme l'an dernier, n'a pas tenu parole. Sans même s'en expliquer ou s'excuser, cette fois-ci. Signalons que je suis entré dans le cinéma en même temps que l'un des deux producteurs du film, qui a lâché un bon gros "festival de m..." en franchissant les portes. Organisation provinciale et courte sur pattes, à la niçoise.



jeudi 3 octobre 2024

SARAH BERNHARDT LA DIVINE (DE GUILLAUME NICLOUX)

 Sarah Bernhardt la Divine (de Guillaume Nicloux)


C'est tout de même un petit exploit qu'ont réalisé Guillaume Nicloux et son équipe. C'est-à-dire s'emparer du personnage de Sarah Bernhardt, peut-être la première diva internationale de l'histoire du divertissement, femme libre et complexe, aussi fantasque que talentueuse, aussi irritante que décidée, pour en faire au final un film d'une banalité extraordinaire, qui se concentre sur des petits détails insignifiants ou des événements apocryphes de la vie de l'artiste. Bilan des courses, on obtient un mélo extrêmement décevant, avec une Sandrine Kiberlain que l'on peine à dissocier de ses rôles précédents, impression confortée quand on constate qu’elle interprète Sarah Bernhardt avec peu de conviction et de persuasion, même si avec beaucoup d'énergie. Bref, l'angle choisi est celui, comme toujours avec les grandes héroïnes de cinéma, de la relation sentimentale tourmentée (ici avec Lucien Guitry, le père de Sacha, joué par Laurent Lafitte, dont je ne parviens toujours pas à saisir le sens de la notoriété. Relation pipeautée sur mesure pour le grand public), le fait qu'elle ait couché avec le tout Paris, mais aussi l'amputation d'une jambe après la gangrène au genou. Si j'ai personnellement apprécié une chose du film, c'est la description de cette société parisienne mondaine où tout le monde connaît tout le monde et où les rôles se distribuent dans les soirées, une coupe à la main. Pour le reste , l’ensemble est d'un ennui mortel et paraît n’avoir absolument rien à dire. Sortie nationale en décembre. Ainsi se termine la première soirée au festival Cinéromans de Nice, avec comme à chaque fois son lot de vraies ou fausses vedettes de cinéma sur lesquelles se jette le public, pour un selfie, et qui viennent assister aux projections avec vous, dans la salle. Hier, notre voisin de fauteuil était par exemple Samuel Le Bihan, qui de ce que j'ai pu en voir durant deux heures a l'air d'être à l’humilité ce que Christian Estrosi peut être à la déontologie politique.