I was born / to perform. Inutile de t'excuser, Jarvis. On peut le comprendre, avec l'âge, la sensation de ne plus occuper que les seconds, voire les troisièmes rangs de la photo de classe. L'heure est revenue de monter sur scène et de faire ce que tu as toujours su faire de mieux. Pulp, quoi. Vingt-trois ans après We Love Life, les vétérans de Sheffield remettent ainsi le couvert avec More, un album qui sent bon la naphtaline (pour peu que vous appréciez l'odeur), le velours râpé et les introspections de la soixantaine. On aurait pu craindre un come back mollasson, nourri à la Britpop tièdasse et à coups de refrains recyclés. Ce n’est pas exactement le cas. Ce n’est pas tout à fait une renaissance non plus. Le single Spike Island, sorti au printemps, avait jeté un pavé prometteur dans la mare, entre cri existentiel et clin d’œil auto-parodique. Le morceau, nerveux, théâtral, presque ironique, fait illusion. Malheureusement, le reste de l’album ne maintient pas toujours ce fragile équilibre entre lucidité et flamboyance, et le premier tiers est même marqué par une forme d'ennui, de difficulté à décoller. Car More, derrière sa pochette élégante et sa production léchée (signée James Ford), avance comme un dandy fourbu. Quelques titres tentent bien de ranimer la flamme (Got to Have Love, Tina)à coups de basses funky, de disco larvée et d’allusions sexuelles plus ou moins explicites — mais on sent que le moteur tousse un peu et qu'il n'a vu le garagiste depuis belle lurette. Come on, let’s have a threesome baby / You, me and my imagination, ose Jarvis, et on se sent limite gêné pour lui, sur ce coup-là. Certes, on retrouve ici tout ce qui fait l’ADN de Pulp : les monologues existentiels, l’humour noir, les portraits obsessionnels de personnages bancals, et cette façon unique de transformer les déambulations urbaines en fables sur la solitude. Grown Ups et Background Noise poursuivent cette veine avec justesse et évoquent l’usure de l’amour, le vieillissement, et l’absurdité tranquille de l’existence avec une élégance désabusée. L’ironie reste intacte, mais c'est le mordant qui s’est émoussé. On sent d’ailleurs que le groupe a voulu faire un album sur le temps qui passe, mais c’est du coup le temps lui-même qui semble passer (trop) lentement en l’écoutant. Le disque traîne les pieds, trop souvent. Farmer’s Market, pourtant construit pour monter en intensité, se contente de planer mollement. Sunset, en clôture, nous berce plus qu’elle ne nous bouleverse. Même My Sex, pourtant hilarant si vous avez un sens de l'humour assez peu regardant, finit par ressembler à un sketch de fin de soirée entre vieux amis un peu éméchés. Et pourtant, malgré cette fatigue, il y a dans More quelque chose de touchant. Peut-être justement parce que l’album n’essaie pas de faire comme si nous étions encore dans les années 1990. Contrairement à certains de leurs camarades, Pulp ne rejoue pas la carte du revival clinquant. Cocker et sa bande livrent un disque imparfait, contemplatif, sincère, où l’on sent le deuil de Steve Mackey, les regrets assumés, et la conscience aiguë de la retraite imminente. Ce n’est pas un disque pour les stades, plus pour les fins de nuits, les dimanches de pluie, ou les moments où l’on se surprend à se demander si l’on a vieilli correctement, si la déchéance est pour demain. More n’est ni une claque, ni un naufrage. C’est un disque gris clair, à la fois habité et fatigué, dans lequel Pulp essaie encore de raconter la vie ordinaire — avec un peu moins de panache et de souffle, mais toujours avec style. Les darons sont devenus grand-père, est-ce leur faute ? Pulp, c'est moi quand je vais courir. Des séances d'entraînement qui sentent bon la bonne volonté et la flamboyance d'autrefois, mais qui finissent souvent par la langue pendue sur le chemin du retour et les ménisques qui sifflent.
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dimanche 15 juin 2025
PULP : MORE (LA FATIGUE DU RETOUR)
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