lundi 2 juin 2025

GARBAGE : LET ALL THAT WE IMAGINE BE THE LIGHT

 Garbage a toujours été le genre de groupe qu'on voit bien rôder dans les gravas et qu'on imagine pouvoir ressurgir quand tout va mal. Depuis leurs débuts, ils font leur nid dans le fracas : guitares saturées, beats cyberpunk, mélodies vénéneuses… mais toujours avec un sens du refrain irrésistible, enrobé de barbelés. Avec Let All That We Imagine Be the Light, huitième album au titre bizarrement lumineux, le groupe opère une mue surprenante sans rien renier de sa férocité : Garbage s’ouvre, sans se ramollir. Entre deux hurlements, on nous glisse qu'il faut y croire, toujours, mais les crocs sont toujours là, bien plantés dans la jugulaire.

Shirley Manson, 57 ans, revient de loin. Une opération lourde à la hanche, des années de douleurs (elle est rentrée chez elle, après la dernière tournée en date, dans un fauteuil roulant), et toujours cette posture d’éclaireuse punk qui refuse de se taire. Elle chante souvent comme on crie sous l’eau : avec urgence, intensité, et la rage de ne pas se noyer. Le groupe, contraint de composer à distance sans elle, a envoyé des maquettes par mail, a empilé les sons comme on recolle les morceaux d’un vase brisé, pendant que la chanteuse se remettait de sa chirurgie, tout en abusant du Tramadol. Le résultat est un étrange équilibre entre la fracture et la fluidité : un disque à la fois éclaté et cohérent, minéral et organique. Dès l’ouverture, There’s No Future in Optimism donne le ton : un beat qui claque comme un fouet, des guitares rampantes, une Shirley qui souffle l’apocalypse à l’oreille. Pas de consolation véritable, mais une énergie brute qui transforme l’angoisse en propulsion. On enchaîne avec le redoutable Chinese Fire Horse, attaque frontale contre le sexisme intergénérationnel, clin d’œil au signe astrologique de Manson, à son impulsivité qui fait parfois partir dans le décor. Elle en fait un hymne incendiaire, à la fois intime et universel, comme si elle crachait dans la soupe misogyne de la pop culture avec panache. Mais Let All That We Imagine n’est pas qu’une succession d’uppercuts sonores. Garbage y glisse des moments plus subtils, presque tendres. Hold se fend d’un refrain désarmant, glisse sans prévenir de la tempête au murmure. Have We Met (The Void) plonge dans une torpeur lynchienne, avec un groove spectral et une Manson déguisée en prêtresse désabusée. Plus loin, Love to Give élève la voix et le cœur : un sommet d’émotion brute, portée par une performance vocale incandescente. Dans un monde qui semble chaque jour plus cabossé, Garbage choisit de ne pas choisir : l’amour et la colère, la révolte et la compassion, la noirceur et l’espoir. Ce n’est pas une synthèse fadasse, plutôt une coexistence volontaire. On décèle chez Garbage quelque chose d’étrangement apaisant, comme un groupe qui aurait traversé les enfers, en serait revenu abîmé mais debout, prêt à y croire encore. Là où le précédent No Gods No Masters (déjà pas mauvais du tout) balançait sa colère contre un monde en chute libre, Let All That We Imagine Be the Light regarde les ruines et rassure les survivants : on va bientôt vous remettre la lumière. C’est un album de la maturité – pas celle qui s’assagit, mais celle qui a survécu. Un disque de cicatrices, de douleurs chroniques et d’épiphanies nocturnes. Comme l'hilarant The day that i met God, d'une beauté planante, où Dieu réside essentiellement dans l'effet puissant du Tramadol déjà cité, antidouleur à base de morphine capable de vous faire croire à tout et n'importe quoi, au-delà des doses recommandées. Un disque pour qui lutte contre l’effondrement, en somme, sans renoncer à la beauté. Garbage, contre toute attente, fait de l’optimisme une posture punk. Et à l’heure où l’industrie recycle les faux rebelles en série, on se réjouira de les voir encore là, entiers, vivants, et brillants. En attendant la prothèse pour l'autre hanche, qui ne saurait tarder ?



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