samedi 13 septembre 2025

INTERVIEW DE BRETT ANDERSON POUR LE NME (SEPTEMBRE 2025)

 En 2022, alors qu’il présentait Autofiction, Brett Anderson confiait au NME que le prochain disque de Suede serait « bien plus expérimental », ajoutant qu’il aimait croire que « leur travail le plus audacieux était encore à venir ». À l’heure d’Antidepressants, pense-t-il avoir tenu parole ?

« Aujourd’hui, j’aborde chaque album avec cet état d’esprit », répond-il. « Je suis fier de la place que nous avons trouvée dans le paysage musical. Je ne crois pas qu’il existe un autre groupe de notre génération qui continue à produire des disques aussi essentiels que les nôtres. Beaucoup d’artistes considèrent un album comme un simple prétexte à repartir en tournée ; nous, nous voulons encore écrire de la musique excitante, faire évoluer notre son, éviter de tourner à la caricature de nous-mêmes. Je n’ai jamais voulu que Suede se repose sur ses lauriers. »

En revenant sur son rôle de pionnier malgré lui de la Britpop, Anderson précise : « Je suis fier de ce que nous avons fait dans les années 1990, mais ce n’est pas à cela que je pense au quotidien. Ce qui m’obsède, c’est ce disque et le prochain. » Alors que l’Angleterre vit un retour de flamme pour cette décennie (Oasis en pleine tournée, Pulp qui triomphe avec une tournée et un nouvel album) Anderson se refuse à transformer Suede en groupe pour nostalgiques.

« On peut toujours en parler, mais je n’ai plus rien de neuf à dire sur le sujet », admet-il. « Ça ne m’intéresse pas vraiment. La dernière chose que je voudrais pour Suede, c’est de devenir un groupe-musée. Dès 1992, j’avais le sentiment que nous étions seuls, à chanter le quotidien des Britanniques quand personne ne le faisait. Nous avons survécu ainsi, à contre-courant parfois, mais toujours en suivant notre propre voie. »

Avec Antidepressants, Suede se mesure à l’air du temps de 2025 en proposant un disque « plus sociétal », personnel mais tourné vers la recherche de lien dans un monde fragmenté. « L'humeur du XXIᵉ siècle, voilà ce que j’ai voulu capter : la névrose, la sensation de contrôle latent », explique Anderson. « J’ai intégré des effets sonores parasites, comme si nous étions bombardés en permanence de consignes et de bruits de fond. Le disque est sombre, mais il exprime aussi la joie de s’échapper à cette oppression. Des titres comme The Sound Of The Summer ou Dancing With The Europeans parlent justement de cela : trouver une connexion dans un univers déconnecté. Il y a tant de beauté dans la vie, même si elle est parfois difficile à saisir. »

Présenté hâtivement comme « leur album post-punk », Antidepressants prolonge en réalité l’exercice de style déjà amorcé avec Autofiction. « J’ai appris à simplifier le discours », sourit Anderson. « Quand vous décrivez un disque à la presse, vos mots sont répétés partout, il n’y a plus de place pour la nuance. Autofiction n’était pas un album punk, c’était notre album punk. Antidepressants n’est pas une imitation post-punk, mais l'influence est là, oui »

Cette impression vient surtout de Richard Oakes, guitariste arrivé en 1994, qui, à 17 ans, avait remplacé Bernard Butler. « Dans les années 2020, Richard est devenu un élément central. Ses influences — PiL, Siouxsie, Joy Division, New Order — transparaissent plus librement qu’auparavant. Suede devient aujourd’hui plus post-punk que rock 70s, ce que nous étions parfois dans les années 1990. C’est son langage musical qui s’affirme, et c’est exaltant à voir. »

Anderson insiste : le post-punk offre une liberté que le punk n’avait pas. « Le punk était plus étroit d'esprit, là où le post-punk ouvre le champ, accepte les hybridations, l’expérimentation. » Une attitude qui prolonge l’esprit frondeur de Suede, resté fidèle à son identité d’outsider. « Au début des années 90, nous jouions dans des pubs vides, on mangeait des chips et de la pita salade, on avait tous connu des petits boulots, parfois nettoyer des toilettes. La fameuse ‘Cool Britannia’ n’était pas encore là. Ce que nous faisions alors (chanter la vie au Royaume-Uni) a fini par marquer la décennie, mais personne n’y croyait à l’époque. »

Suede pourrait émerger aujourd’hui ? Anderson en est persuadé : « S'il suffit d'aimer passionnément la musique, alors oui. Il faut passer par l’échec, l’indifférence, parce que c'est tout ça qui vous forge. Je le dis toujours à mon fils : il n’existe pas d’échec, seulement des réussites et des apprentissages. »

Ce goût du risque irrigue aussi leurs concerts, qui restent imprévisibles : « Comme disait John Peel des Fall : ‘toujours différents, toujours les mêmes’. C’est exactement cela. Pas de chorégraphies, pas de paillettes, mais de la surprise et de l’énergie brute. Je pense sincèrement que nous sommes l’un des groupes live les plus excitants du moment. » Les Manic Street Preachers, qui ont partagé plusieurs tournées avec eux, le confirment : James Dean Bradfield a reconnu que Suede les avait poussés à se dépasser. Anderson, élogieux, se souvient de concerts « merveilleux » et de soirées passées à admirer Motorcycle Emptiness et A Design For Life depuis les coulisses.

Prochaine étape : investir le Southbank Centre à Londres, avec un concert « off-mic » (sans micro, en acoustique totale) et le tout premier spectacle orchestral de Suede. « Nous avons toujours eu assez de curiosité pour oser de nouvelles choses : un show rock classique, mais aussi une collaboration avec le Paraorchestra, ou une expérience plus intime, presque comme une répétition dans une chambre d’ado. » Et après ? Anderson reste tourné vers l’avenir : une tournée d’hiver en 2026 et surtout l’album numéro 11. « Il y a toujours un prochain disque à imaginer. Tant que les gens nous écoutent et nous suivent, c’est une chance incroyable. Je ne sais pas encore où cela nous mènera, mais j’ai la certitude que ce sera passionnant. »




NME le 9 septembre, interview réalisée par Andrew Trendell.

Version originale : https://www.nme.com/news/music/suede-brett-anderson-antidepressants-interview-90s-future-tour-3891098


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