jeudi 30 novembre 2023

LE COLIBRI (De Francesca Archibugi)

 Le colibri, ce minuscule oiseau hyperactif, est capable de faire du surplace et, pour ne rien gâcher, de voler à reculons grâce à une quantité aberrante de battements d'ailes à la minute. Une merveille de la nature, certes, mais globalement assez idiot. Sérieusement, un volatile qui se démène comme un animateur de Cnews dopé à la cocaïne, juste pour rester en l’air, c’est une drôle de stratégie évolutive. Maintenant, imaginez Pierfrancesco Favino, ce monument de prestance qu’on verrait plutôt déguisé en manchot élégant sur une banquise, dans le rôle d’un… colibri. Vous visualisez ? C’est hilarant, non ?


Dans ce film, Favino incarne un médecin passablement mollasson, à mi-chemin entre la couille molle et l’âme torturée, et on nous déroule toute sa vie sous nos yeux. De son enfance où il était un gamin malingre jusqu’à ses derniers instants (dignes, touchants, mais pas franchement réjouissants). Le spectateur, quant à lui, est chargé de jouer à l’apprenti détective, car le film adore sauter joyeusement d’une époque à l’autre, entre flashbacks intempestifs et bonds dans le futur. Une gymnastique mentale obligatoire pour reconstituer ce puzzle temporel. Et, une fois qu’on commence à comprendre qui est qui, et surtout quand on est, le film se met enfin à révéler une profondeur insoupçonnée. On y explore des thématiques universelles et grinçantes : est-il héroïque ou tout simplement lâche de sacrifier son bonheur pour épargner la souffrance aux autres ? Entre amour et égoïsme, faut-il choisir ? Et si oui, lequel a le meilleur goût ? Le Colibri nous balance une vérité implacable : peu importe combien d’ailes vous battrez, combien de fois vous stagnerez ou reculerez pour "mieux avancer", la fin reste la même pour tout le monde. Le point final est inévitable. Mais avant ça, il y a la vie. Celle qu’on vit ou qu’on laisse filer en se demandant quelle est la meilleure manière de sortir de scène – alors même que toutes les répliques n’ont pas encore été jouées. Le film, parfois fragmenté et chaotique (comme la vie, tiens), flirte avec l'insignifiance, mais c'est précisément là qu'il devient universel. Entre drames, joies, peines, échecs ou triomphes, tout fait partie du menu. Inutile de trier votre assiette avec le bout de la fourchette pour ne garder que ce qui semble comestible : il faudra tout avaler, jusqu’à la dernière bouchée.



dimanche 26 novembre 2023

NAPOLEON (DE RIDLEY SCOTT)




Napoléon (de Ridley Scott)

Première règle importante au moment d'aborder le film Napoléon, qui tel un Bic 4 couleurs percé fait couler beaucoup d'encre : comprendre qu'il s'agit d'un long métrage de fiction, certes basé sur des faits bien réels, mais pas un documentaire historique, tourné pour les besoins de History Channel. Autre règle évidente à saisir :  l'histoire et la culture de France sont loin d'être des préoccupations prégnantes au moment d'obtenir des financements pour réaliser un blockbuster hollywoodien, censé rapporter des sommes colossales au box-office et à Apple. Bref, le réalisateur c'est Ridley Scott et pas Franck Ferrand, pour citer un de ces illustres guignols qui s'auto érigent, chez nous, en défenseurs de notre patrimoine poudré. Et puis l'histoire, c'est une question de point de vue, ça peut aussi et surtout s'écrire en fonction des victoires (et donc s'effacer pour les défaites); n'oubliez pas que si Napoléon est une pièce maîtresse de l'identité française de ces derniers siècles, il est aussi pour certains de nos voisins le "condottiere" d'une armée qui s'est livrée aux pires turpitudes, pillages, viols et autres petites espiègleries sur la grande route de la conquête universelle et de la Grandeur Française. 
Globalement bien troussé, ce Napoléon là hésite durant plus de deux heures entre la chronique sentimentale d'un futur empereur, réellement immature et sous l'emprise d'une femme aussi volage que nécessaire, et la chronique d'une ascension irrésistible, d'un général qui sait comment mener les batailles et les remporter, notamment grâce à une tactique infaillible, l'équivalent du 4-4-2 sur un terrain de foot, à savoir : déployer les canons et tirer dans le tas, sans se soucier du nombre de victimes. La belle reconstitution (qui ressemble à une partie d'échecs diabolique) de l'ultime boucherie, celle de Waterloo, met particulièrement bien en évidence ce que signifie l'expression "chair à canon", la manière dont certains grands noms sont rentrés dans l'Histoire, en jetant en pâture à l'ennemi et à la postérité des générations entières, qui se sacrifient pour que leur roi/empereur/commandant passent à l'éternité, sous la forme de statues recouvertes des déjections de pigeons, sur nos places publiques. Grandeur et décadence d'un personnage qui est aussi un mythe. C'est cela l'ironie du Napoléon de Ridley Scott, la version grand spectacle parfois pathétique, voire ironique, de celui qui reste avant tout un homme qui n'avait pas les codes de la noblesse et des grands noms de son époque, mais qui s'est installé à leur table, tout en s'essuyant les bottes sur les belles nappes des principales cours européennes. Un napoléon convaincu d'œuvrer pour la France et pour la paix, capable de trucider tout ce qui se dresse entre lui et ce joli rêve, mais qui pleurniche devant Joséphine de Beauharnais, même lorsqu'il prend la décision de la répudier. Et si finalement ce qu'on reprochait le plus au film de Ridley Scott, c'était de pointer douloureusement du doigt tout le ridicule qu'il y a dans ce genre de héros historique, dont les faits d'arme souffrent clairement d'une réinterprétation hagiographique outrancière ? Nous pouvons les pardonner; après tout, c'est du même mal dont souffrent aujourd'hui nos gouvernants, Macronette Premier, pour commencer.

jeudi 23 novembre 2023

LE DOCTEUR PETIOT



 Le Docteur Marcel Petiot, né le 17 janvier 1897 à Auxerre, était un médecin français, devenu tristement célèbre pour ses crimes pendant la Seconde Guerre mondiale. Au menu avec Petiot, un mélange de trahison, d'hubris incontrôlée, de délires et de meurtres en série, sans négliger une dose d'humour macabre telle que seule l'ironie du destin peut en apporter.

Petiot a connu une carrière médicale en dents de scie, avec des accusations antérieures de fraude et d'abus de confiance. Le type était probablement brillant, charmeur, mais cleptomane, machiavélique et enclin à chuter avant d'atteindre son objectif. Plusieurs personnes ayant croisé son chemin, dont une bonne/secrétaire/amante, disparurent mystérieusement, préfigurant ce qui allait devenir un des procès du siècle en France. Ce sont cependant ses activités pendant l'Occupation allemande qui l'ont catapulté dans la glorieuse infamie des serial killer bien de chez nous. Pendant cette période sombre de l'histoire française, Petiot a exploité les peurs et l'incertitude qui régnaient en offrant de prétendus services d'évasion vers l'Amérique du Sud pour ceux qui craignaient les persécutions nazies. Les juifs fortunés désireux d'échapper aux rafles allemandes devinrent son fond de commerce. 50 000 francs par personne, les bijoux cachés dans des poches cousues dans les vêtements, rangés dans des valises, avant la "disparition" du candidat à l'exil.  

Car le docteur Petiot avait une définition plutôt unique du mot "évasion". Au lieu de fournir un passage sûr vers une nouvelle vie en Argentine, Petiot attirait ses victimes dans son propre piège mortel. Il les persuadait de remettre toutes leurs possessions, affirmant qu'il les "désinfecterait" pour éviter les soupçons des autorités. Au lieu de cela, une fois à l'intérieur de son domicile, les victimes étaient tuées par injection de cyanure, qu'il présentait comme étant un vaccin nécessaire pour entrer sur le territoire américain. Les meurtres de Petiot ont finalement attiré l'attention des autorités en 1944, lorsque des voisins se sont plaints de l'odeur insupportable de la fumée émanant de sa cheminée. Lorsque la police est intervenue, elle a découvert un véritable charnier, avec des restes humains carbonisés et des effets personnels éparpillés. En tout, Petiot sera accusé formellement d'avoir éliminé 27 personnes. 

Le procès qui a suivi a été un spectacle choquant, avec Petiot se présentant comme un patriote français, prétendant avoir tué des "collabos" et des ennemis de l'état, pour lutter contre les nazis.  Le tout Paris a assisté médusé au spectacle judiciaire durant trois semaines. Selon les journalistes présents "si le verdict avait reposé sur un vote parmi l'assistance, Petiot aurait pu s'en sortir", ce qui en dit long sur la capacité de l'individu de séduire les foules, de dénigrer l'accusation, de railler le tribunal. Un show. Toutefois, les preuves contre lui étaient trop accablantes, et les témoignages des survivants ont révélé la vérité derrière son sinistre stratagème. Le 4 avril 1946, Petiot est condamné à la peine de mort par la guillotine. Le 25 mai 1946, il affronte la sentence sans faillir, presque sourire aux lèvres. La fascination du tueur en série, de celui qu'on surnomma aussi "Docteur Satan" prend fin, sans pour autant qu'on puisse déterminer ce qu'est devenu le riche butin accumulé (on parle de trente millions de nos euros actuels) qui semble avoir bel et bien disparu, à jamais.

mercredi 22 novembre 2023

THE KILLER (FINCHER SUR NETFLIX)




 The killer (de David Fincher / sur Netflix)

Exposer le synopsis de ce film est relativement simple : c'est le portrait d'un tueur, un assassin professionnel qui ne se préoccupe pas de savoir pour quelle raison il a été recruté, qui ne s'embarrasse pas de l'opinion politique ou du statut social de sa future victime. Place à Michael Fassbender en as de la gâchette taiseux et méthodiquement préparé. Avec une particularité : il ne manque jamais sa cible. Jusqu'au jour où fatalement, cela finit par arriver : ça se produit à Paris, il est alors contraint de fuir, regagner sa planque à Saint-Domingue tout en éliminant les traces derrière lui. Seulement voila, notre homme n'est pas le seul assassin sur le marché et un couple de ses collègues est venu lui rendre visite, torturant au passage sa petite amie pour obtenir des informations, une fois constatée son absence. Dès lors, dans un grand classique du cinéma américain d'action, c'est une vengeance qui commence. Notre protagoniste va remonter toutes les étapes du contrat qu'il a échoué à exécuter, zigouillant sur son passage ceux qui se sont retournés contre lui, jusqu'à se retrouver face à face avec "le client", celui qui au départ a initié la mission. Le tout avec une économie de moyens et de parole assez évidente, agrémentée d'une bande son pertinente qui se partage entre Trent Reznor et Les Smiths. Fincher s'est attiré les foudres de beaucoup de censeurs car il a choisi les dollars de Netflix, plutôt que le parcours traditionnel qui mène à la consécration sur grand écran. On lui reproche d'avoir livré un long-métrage mineur et de ne pas avoir fait preuve d'une originalité à toute épreuve. Moi qui suis fan de l'animal, je peux vous garantir qu'au niveau de l'ambiance, du savoir faire filmique et du caractère clinique du produit fini, la pâte du réalisateur est bien là. J'ai pris un plaisir certain à suivre ce "tueur", qui certes ne révolutionnera en rien le genre mais reste un divertissement très efficace, et qui en plus a le bon goût de ne pas s'éterniser pendant trois heures. L'art aussi de passer entre les gouttes à une époque où tout est conservé sur caméra, tout est enregistré, catalogué, fiché. Fassbender (sans nom véritable et certain) traverse une série de lieux qui n'en sont pas vraiment, fait de l'attente et de l'ascèse un modus operandi gagnant, laisse l'empathie et la pitié au placard. Froid et méticuleux, discret voire évanescent, le Killer peut être tout le monde, partout, mais surtout insaisissable. Comme le cinéma en 2023, dans votre poche, sur tous les écrans.

VINCENT DOIT MOURIR




 🎬 Vincent doit mourir (de Stéphan Castang)

Des heures après le repas, vous avez toujours en bouche la même question, la même sensation : impossible de déterminer si vous avez mangé salé ou sucré. Voilà l'impression ultime que laisse cet objet filmé non identifié, qui entend mêler dans le même élan histoire ultra violente, réminiscences zombies ou encore drame social. Au centre du récit, Vincent, qui bosse dans une start up informatique. Le jour où un nouveau stagiaire débarque, tout dérape. Le type éclate son laptop sur notre malheureux et se déchaîne sans raison. Pire encore, c'est ensuite le comptable de la boîte qui essaie de le planter avec un stylo et semble vouloir attenter à ses jours. Le début d'une longue liste : suffit d'un contact visuel et l'interlocuteur devient une bête féroce et Vincent une proie facile. Même les gamins des voisins s'y mettent, le facteur, tout le monde ! C'est d'ailleurs assez drôle, à bien y penser. Certaines scènes, surtout des répliques, assument pleinement ce comique à froid de l'absurde dramatique. Vincent doit donc changer de style et de cadre de vie, disparaître pour survivre, s'isoler. Avec en toile de fond le discours des psychiatres et de la DRH, qui tend à remettre en cause la victime, qui comme le veut la rengaine trop souvent entendue, "l'a finalement bien cherché". 

La violence, au dehors et en dedans. Des individus dont l'humanité semble bien fragile, une sorte de saleté existentielle qui se traduit concrètement par une lutte à mort dans une fosse sceptique, qui restera comme une des scènes les plus répugnantes de la décennie.  Vincent doit mourir n'est pas très propre. Ni dans son propos, ni dans sa technique, tant le premier film de Castang fleure bon (ou mauvais) l'amateurisme à de nombreuses reprises. On perçoit l'économie de moyens et des acteurs pas toujours irréprochables et convaincants (Karim Leclou fait le job, moins Vimala Pons, dont l'irruption dans le récit est le point le plus faible de l'ensemble). Une image et un savoir faire approximatifs mais revendiqués, un film qui échappe à toute tentative de dresser une morale et qui semble prendre un malin plaisir à viser le fond, non seulement pour le toucher, mais le racler, le creuser. Déconcertant et fascinant, on tient là un long métrage dont le lointain cousinage avec les épopées super-héroïques se résume à une malédiction indéfinie et incontrôlable, qui finit par s'étendre, jusqu'à la panacée des temps modernes, le confinement. En ce moment, le cinéma se découvre claustrophobe et y revient souvent. Si Vincent doit mourir, qu'au moins ce ne soit pas d'indifférence. Tentez l'expérience.

lundi 13 novembre 2023

L'ABBÉ PIERRE - UNE VIE DE COMBATS

 



🎬 L'Abbé Pierre - Une vie de combats (de Frédéric Tellier)

Une fois n'est pas coutume, je n'ai guère envie de faire de l'humour ou donner dans le second degré à outrance. Pourtant, il y aurait tout un tas de bons mots à exploiter avec ce film qui ressemble par moments à une véritable hagiographie d'Henri Grouès, celui que tout le monde connaît mieux sous le pseudonyme de l'Abbé Pierre. Rejeté par les Capucins, combattant dans l'armée durant la seconde guerre mondiale, initiateur d'une incroyable croisade contre la misère, incarnation de la France qu'on n'écoute pas et qu'on ne voit pas durant le terrible hiver 1954, le personnage est fascinant. C'est même, serait-on tenté de dire, un héros de cinéma dans la vie réelle. Benjamin Lavernhe est un Abbé remarquable et crédible, aussi bien dans la diction, la gestuelle, que dans la manière dont il est grimé par la production, à mesure que passe les ans. Mais tout ceci est un détail par rapport à l'essentiel du film. Peu importe les faits rapportés et la manière de conduire le récit (assez académique), là où le biopic fait mouche et sens, c'est dans la présentation, l'exposition de ce qu'est la religion catholique pour notre abbé. Nous sommes loin des fastes du Vatican, du tabou permanent, de la récupération assez insolite qu'au fil des siècles la droite bourgeoise et les nobles bien nantis on fait de la parole du Christ, quand celle-ci est en fait une sorte de verbe communiste explosif avant l'heure, une invitation à la révolte permanente. Une phrase résume cette philosophie. Lorsqu'on demande à l'Abbé Pierre, au crépuscule de ses jours, s'il cautionne la violence, il répond que cette dernière vaut toujours mieux que la lâcheté. C'est exactement ça, son combat, ses combats. Ne pas tendre la main et espérer l'aumône (un clin d'œil particulier à notre seigneur Macron Premier et tous les néolibéraux, pour qui la théorie du ruissellement reste le nec le plus ultra de l'économie et du discours social) mais trouver les ressources en soi-même pour ne pas accepter l'inéluctable, pour rendre au prochain sa dignité, l'aider à se relever et repartir au front. Alors oui, dit comme cela, ça peut être un peu naïf, mais si l'on cesse de croire à ce combat là, que reste-t-il donc à accomplir pour l'être humain sur cette Terre ? Réfuter ce message, pour le coup, ce serait le nihilisme absolu, ou pour employer d'autres mots, la société capitaliste néolibérale d'aujourd'hui, où celui qui s'arrête tombe, où celui qui ne produit pas n'est pas, où celui qui ne peut plus doit disparaître. Pour avoir incarné l'exact contraire de cette doctrine mortifère, l'abbé Pierre reste aujourd'hui une des grandes figures marquantes de l'histoire moderne de notre pays. Comme le disait le Jésus de Didier Bourdon, dans un des célèbres sketchs pastiches des Inconnus : aimez-vous les uns des autres, bordel de merde (Jésus II le retour).