dimanche 20 juillet 2025

VIPÈRE AU POING (de Hervé Bazin)

 Vipère au poing, c’est l’histoire d’une haine familiale, d’une vengeance patiemment mijotée et largement méritée. Folcoche – surnom inoubliable de la mère – autrement dit à demi folle, à demi cochonne, (selon le respectueux langage imagé de ses fils), incarne une marâtre sadique et inflexible. Elle est la mère du jeune Jean Rezeau, alias Brasse-Bouillon, héros narrateur de cette tragédie domestique. La famille a des origines nobles, certes, mais les jours heureux et brillants appartiennent clairement au passé. Le présent, lui, est surtout fait de petites économies mesquines et d’un déclassement silencieux, dans une France des années 1920 en pleine mutation. Mutation qui, bien entendu, n’arrive que très lentement dans la campagne angevine, où se déroule l’action. Jean n’est pas seul dans cette guerre larvée : il a un frère aîné et un frère cadet. Ce dernier alterne sans cesse entre le rôle de petit délateur zélé et celui de conspirateur hésitant. Le père ? Une chiffe molle, un ectoplasme en veston, incapable d’imposer la moindre autorité. Il préfère détourner les yeux quand sa femme se déchaîne sur leurs enfants, qu’elle méprise, qu’elle brime, qu’elle écrase à la moindre occasion. L’amour maternel existe bel et bien, paraît-il… mais il n’est pas systématique. Et son absence cruelle est ici le moteur d’un règlement de comptes à la fois dramatique et souvent cocasse. Fuir, s’affranchir du joug de cette marâtre qui frappe, condamne et avilit : tel est le défi. Le temps devient un allié précieux. Les années passent, les enfants grandissent et, petit à petit, ils prennent suffisamment de poids – au sens propre comme au figuré – pour couper le cordon ombilical… à coups de serpe. Le roman d’Hervé Bazin est un classique. Et quelle langue ! Je me surprends, en le relisant, à constater qu’il figurait parmi les lectures imposées au collège, en classe de 5e, dans les années 1980. Une remarque qui explique bien des choses… y compris, peut-être, pourquoi certains lycéens aujourd’hui peinent à déchiffrer Harry Potter en terminale. La littérature, c’est comme un marathon : on ne prend pas le départ sans un minimum d’entraînement à l’endurance.

Publié en 1948, Vipère au poing est en réalité un autoportrait acide, une autofiction avant l’heure, dans laquelle Bazin règle ses comptes avec sa propre mère. Ce qui frappe, au-delà de l’inventivité rageuse du style, c’est la précision chirurgicale avec laquelle il dissèque les hypocrisies bourgeoises, les faiblesses masculines, et l’autoritarisme féminin dès qu’il vire au sadisme. C’est un roman de guerre – guerre d’usure, guerre froide domestique, guerre à peine larvée. Sous les coups de fouet, sous les injures, dans les silences empoisonnés du manoir de La Belle-Angerie, quelque chose résiste. Une vitalité, une volonté de vivre, une voix. Celle de Brasse-Bouillon, bien sûr, qui grandira pour devenir écrivain, sans jamais concéder le pardon. On rit souvent jaune, mais on rit quand même. Et on comprend, à travers cette enfance volée d’un gamin livré à Folcoche, que l’écriture peut être une revanche, un exutoire, une manière de reprendre le pouvoir. Les têtes peuvent ployer un temps, mais la colère sourde gronde encore, et toujours. Conclusion à appliquer au tissu social contemporain, pour une rentrée endiablée, souhaitons-le. Vipère au poing, s'il le faut. 



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