Les Conséquences de l'amour (2004) : un titre qui semble promettre une romance à l'italienne, mais ne vous y trompez pas, ce film de Paolo Sorrentino est tout sauf une banale histoire de drague ou de cocufiage. Ici, l'amour ne se manifeste pas avec des roses, mais des épines, et surtout dégage un parfum de désespoir. Au centre du récit, un pensionnaire mystérieux, solitaire et taciturne, exilé volontaire ou forcé (spoiler : ce sera la seconde option) dans un hôtel impersonnel. Titta Di Girolamo, un comptable d'apparence élégante mais émotionnellement verrouillé, nous accueille dans son univers froid et glaçant. Un personnage aussi distant qu'un tableau dans un musée : fascinant, mais qu’on ne peut pas toucher, sans rencontrer la glace, l'obstacle, l'intervention des gardiens. Sous ses costumes impeccablement taillés et son air de dandy revenu de tout, Titta (le remarquable Toni Servillo) cache un lourd secret : un passé inavouable, patiemment révélé par le scénario comme un compte-gouttes cruel. Pourquoi cet homme est-il condamné à errer dans les couloirs d’un hôtel suisse ? Quel crime ou mauvaise décision l’a enfermé dans ce purgatoire clinique où tout est aseptisé et désincarné ? La réponse, comme dans tout bon film noir, se dévoile au fil des scènes, jusqu’à un final dont la violence contenue laisse pantois. Peu importe les promesses de vos rappeurs favoris, personne ne sort jamais indemne d’un pacte avec la mafia, et notre héros, otage d’une Casa Nostra impitoyable, ne fait pas exception à cette règle de bon sens. Son quotidien est une forme de peine capitale suspendue, il attend son heure dans un décor où la moquette grise pourrait aussi bien servir de linceul ou de silencieux pour atténuer le bruit des projectiles. L’intrigue prend une tournure inattendue lorsqu’une réceptionniste douce et innocente entre dans l'équation. Sofia, apparition lumineuse dans ce monde feutré de demi-teintes, devient pour Titta une sorte de rayon d'espoir – ou, plus précisément, une lumière aveuglante qui finit par révéler encore plus cruellement les ombres de son existence. Leur rencontre, d’une simplicité désarmante, ouvre une brèche dans l’armure cynique du protagoniste. Mais si l’amour sauve parfois, il condamne ici avec une ironie déchirante. Visuellement, Les Conséquences de l’amour ressemble à un bijou froid, ciselé avec une précision presque chirurgicale. Le huis clos oppressant de l’hôtel, avec son design stérile et son atmosphère déshumanisée, devient un personnage à part entière. Chaque élément semble calculé pour appuyer le malaise et l’aliénation de Titta. Même la bande-son électro, composée de rythmes hypnotiques et nerveux, insuffle une tension presque incongrue à des scènes d’apparence anodine : regarder un homme porter une valise pleine de billets à la banque n’a jamais été aussi stressant. Mention spéciale pour cette techno affolée, qui transforme une banale course à la banque en une scène digne d’un thriller existentialiste. Paolo Sorrentino évite les clichés avec une élégance rare. Ici, pas de mafieux caricaturaux en costards rayés ni de dialogues saturés d’accents forcés. Les personnages, même secondaires, sont incarnés avec une justesse troublante. Et si l’on cherche une morale dans ce film, c’est peut-être celle-ci : dans un monde régi par des forces supérieures – qu’elles s’appellent mafia ou destin –, l’individu n’est qu’un pion, et les pions sont faits pour être sacrifiés. Les Conséquences de l’amour est tout bonnement une œuvre hors du temps, un essai esthétique autant qu’un long métrage, un OVNI étrange et ensorcelant, une rareté qui préfigure tout ce que Sorrentino va réaliser par la suite. Certains trouveront ça désincarné, stérile, réfrigérant. Bonne nouvelle, le mauvais goût n'est pas puni par la loi.
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