Oh, Canada (de Paul Schrader)
Lorsqu'il ne reste plus qu'à faire face à l’inéluctable, à savoir la mort, il devient inutile, voire absurde, de continuer à mentir, que ce soit aux autres ou à soi-même. Comme le souligne avec justesse le protagoniste du dernier film de Paul Schrader : si au moment de partir, personne ne vous connaît véritablement, alors vous n’avez jamais rien été d'autre qu’un personnage de fiction. C'est dans cette situation déplaisante que nous retrouvons Richard Gere, remarquable en vieillard malade et presque grabataire, qui incarne ici un réalisateur de documentaires primés (Leonard Fife), dans une adaptation d'un roman de Russell Banks. À son tour, cet homme devient le sujet d’un film dans lequel il revisite certains souvenirs marquants d’une longue carrière. Une carrière façonnée en opposition au système, bâtie sur la réputation d’un artiste engagé : de la dénonciation de la guerre du Vietnam à des luttes plus contemporaines, comme celles contre la pédophilie dans les églises ou l'exploitation éhontée des ressources naturelles. Cependant, derrière la façade d’un mythe soigneusement élaboré se cachent des raisons moins avouables, des motivations bien éloignées de toute grandeur. Parfois, ce n'est que que le fruit du hasard qui a guidé les pas du réalisateur ; bien plus souvent, il s’agit de la volonté d’échapper à des responsabilités, telles que la paternité ou l’engagement amoureux, qui ont progressivement modelé l’existence de cet homme aujourd’hui fatigué, décidé à transmettre la vérité en guise de testament à la femme qui partage sa vie depuis trente ans. Paul Schrader s'appuie d'un bout à l'autre sur deux acteurs (Gere, et Jacob Elordi) qui incarnent des rôles parfois interchangeables (Jacob jeune et mourant) et s’appuie sur un montage complexe et volontairement fragmenté. Celui-ci permet au spectateur de naviguer entre souvenirs réels, possibles et purs produits de l’imagination. Qu’il s’agisse de faits ou de fictions, cette confession perturbe forcément le spectateur un tant soit peu sensible, car elle déroule le fil d’une existence tout en révélant l’étonnante fragilité des choses qu'on considérait essentielles, hier encore. Même les plus grandes réalisations reposent, en fin de compte, sur des bases d’une étonnante vacuité. Un souffle et il n'en reste rien. Qu’est-ce qui perdurera donc, après chacun de nous ? Quelle empreinte laisserons-nous ? Une empreinte qui, de surcroît, pourrait différer profondément selon qu’on la considère à travers nos propres yeux ou à travers le regard de ceux qui nous observent et pensent posséder, souvent, une vérité plus vraie que celle que nous détenons par l'expérience. Oh Canada est un film qui, sans en avoir l’air, pose alors des questions essentielles : celles de l’identité, de la mémoire et de la fatuité de nos ambitions, de nos triomphes ou de nos errances. Une œuvre qui, il faut le reconnaître, file tout autant le bourdon qu'elle nous donne à méditer. Cinq décennies ne suffisent toujours pas à Schrader pour déterminer le chemin, ni même la possibilité, vers l'illumination et la rédemption.
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