La chambre d'à côté (de Pedro Almodovar)
Comme vous le savez probablement, je fais partie de ces irréductibles opposants à l’idée d’une retraite à 64 ans. À plus forte raison, je me penche avec une certaine appréhension sur le dernier projet de Pedro Almodóvar. À 75 ans, il s’attaque à l’adaptation d’un roman de Sigrid Nunez, où il est question d’une correspondante de guerre condamnée par un cancer. Tilda Swinton, parfaite pour le rôle (elle est née pour), y incarne une femme qui demande à son amie, une écrivaine campée par Julianne Moore, de l’accompagner dans ses derniers jours. Ces journées fatidiques, elles les passent dans une maison de location isolée et hors de prix, perdue au milieu d’une nature splendide. L’attente repose sur un stratagème particulièrement cruel, que vous pourriez épargner à vos propres connaissances : elles occupent deux chambres différentes, avec une consigne implacable. Le jour où la porte de la chambre de Martha (le personnage de Tilda Swinton) reste fermée, cela signifie qu’elle a pris sa décision : avaler le comprimé qui lui permettra de partir, par euthanasie. Une pratique, rappelons-le, toujours illégale sous cette forme, comme sous bien d’autres. Mais on trouve de tout, sur le Dark Net, comme Almodovar nous l'assène régulièrement.
En écrivant ces lignes, je réalise combien ce film m’a laissé sans inspiration, à l’image de ce qui semble avoir frappé le réalisateur. Tout y est d’une platitude désarmante, et même en parler me coupe l’élan. Les mots, les phrases, les images me manquent pour le décrire. Tout semble orienté vers un pathos que la presse dithyrambique qualifie de « subtil », « touchant » ou « élégiaque », mais qui n’est en réalité qu’une caricature. Une caricature de ce que l’on peut penser et dire face à la mort, surtout lorsqu’on appartient à une certaine catégorie sociale, genre CSP ++. Car oui, même mourir n’est pas à la portée de tous. Ici, les deux femmes passent leurs derniers jours ensemble dans un cadre idyllique, à disserter sur l’art, la littérature, la photographie ou la guerre. Martha, rappelons-le, a tout de même bénéficié d’un traitement expérimental. Ce genre de traitement n’est pas, soyons honnêtes, accessible à ceux qui ont passé quarante ans de leur vie à bosser chez Prisunic. L’inégalité de la vie se prolonge donc jusque dans la mort, ou du moins dans son approche. Car une fois que le corps retourne à la poussière, la qualité, les matériaux ou le prix de l’urne et de la stèle n’y changent plus rien. Poussière pour tous, la seule justice immanente est rendue par les vers. Mais où est donc passée la folie propre au cinéma d’Almodóvar ? Où s’est envolée sa capacité à sortir des cadres pour peindre la marge avec toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ? Ici, la prétendue délicatesse du film masque à peine l’indigence de son propos. Ceux qui y voient une charge contre l’hypocrisie autour de l’interdiction de l’euthanasie ne trouveront, en guise de démonstration, que quelques minutes en appendice. Le réalisateur s’en empare à la hâte, juste avant une ultime scène où apparaît la fille de Martha, histoire d’enfoncer un peu plus le clou dans le cercueil du conformisme et des attentes convenues. Et ça se termine – comme annoncé à maintes reprises dans le film – par des flocons de neige. Une métaphore laborieuse censée nous rappeler que la beauté, comme la vie, exige qu’on sache la regarder pour l’apprécier et la saisir sur le vif. Mais soyons honnêtes : il est bien plus facile de contempler la beauté quand on appartient aux happy few, confortablement installé dans une villa de luxe. Certes, la mort est passée par là entre-temps. Et au pauvre spectateur, rien n'aura été épargné : platitudes, redites, tout ce qu'il était attendu de filmer, de dire, de montrer. Résultat : un des films les plus ennuyeux et les moins inspirants qu’il m’ait été donné de voir ces dix dernières années. Une bonne sieste de deux heures aurait été beaucoup plus gratifiante.
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