Paul Doumer n’était pas exactement un président de la République sorti d’un roman d’aventures ou d'un film d'action. C’était plutôt un personnage de Balzac : sérieux, travailleur, un brin morose, bref, un vétéran de la politique au long cours. Élu en 1931 à l’âge où d’autres songent à leur retraite, il s’installe à l’Élysée avec toute la solennité d’un grand-père décidé à remettre la bande de ses petits enfants dans le droit chemin. À ceux qui s’inquiétaient de sa santé, il répondait par une blague un peu sinistre : « Je ne verrai pas la fin de mon septennat. » Visionnaire ou juste lucide ? Certains paris ont le don de porter la poisse.
Le 6 mai 1932, Paul Doumer se rend à une soirée de charité à la salle Gaveau, dans le huitième arrondissement de Paris. Un gala littéraire organisé pour les gueules cassées de la Grande Guerre, où les écrivains vendent leurs livres et le président signe son arrêt de mort, sans le savoir. Doumer, qui tient à payer ses ouvrages comme tout honnête homme, s’avance dans la salle. Il serre quelques mains, sourit pour la forme, puis s’écroule brutalement. Trois coups de feu ont claqué. Une vague détonation, incongrue. « Comme un bruit qu'on ne peut manifester devant un président », dira plus tard un témoin, car même les balles, à l’époque, respectaient les convenances. Le tireur ? Un certain Paul Gorgulov. Russe, émigré, écrivain raté, médecin autoproclamé, et surtout psychopathe certifié. Il se dit "sauveur de la Russie", en mission sacrée contre le communisme. Une mission un peu floue, certes, qui passe visiblement par l’élimination du président français — logique qui échappe encore aux meilleurs exégètes. Il tire sur Doumer à bout portant, puis se laisse arrêter sans gloire. L’acte est absurde, et le mobile encore plus. On assassine un chef d’État ? Fort bien. Mais qu’on le fasse pour une bonne vieille querelle idéologique, un différend stratégique, une passion tragique, une haine viscérale ! Pas pour une croisade mentale qui ne tient pas debout, menée par un illuminé au regard vide. Transporté d’urgence à l’hôpital Beaujon, Paul Doumer agonise sans bruit pendant trois jours. Une balle sous l’aisselle, une autre dans la nuque — le pronostic était sacrément réservé, dès les premiers instants. Le 9 mai, il meurt sans reprendre connaissance, comme si l’Histoire elle-même hésitait à réveiller le président. Quant à Gorgulov, il est jugé rapidement, condamné à mort, puis guillotiné le 14 septembre suivant. La lame tombe, l’aide-bourreau grimace et ironise : « Une tête mal taillée », dit-il. L’assassinat de Paul Doumer, c’est un fait divers sans épaisseur, un drame qui peine à défrayer la chronique plus de quelques jours. Une tragédie sans souffle, un crime sans grandeur. Juste un pauvre bougre en mal de reconnaissance et un président trop poli pour lui refuser une dédicace. Et ainsi s’achève la carrière présidentielle de Paul Doumer : sur une note bruyante, désinvolte, et vaguement grotesque. Lui qui avait vu tant de régimes tomber, tant de ministères se succéder, ne méritait-il pas une sortie plus noble ? Peut-être. Mais la Troisième République, elle, ne faisait pas dans le tragique grec. Que dire de la Cinquième, où une gifle mal appuyée et un « Montjoie ! Saint Denis ! À bas la Macronie ! » reste le pastiche le plus triste et stérile de notre morne vie politique moderne.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire