Paysages de mort : voilà un titre qui annonce sans ambages la couleur. Pour le rire et l'espoir, vous repasserez. Funèbre, inquiétant, mais assurément prometteur — surtout pour qui connaît un tant soit peu l'œuvre de Jean-Pierre Andrevon. Auteur prolifique, pilier de la science-fiction française depuis les années 1970, Andrevon reste pourtant encore trop souvent confiné aux marges du grand public. Il n’en est pas moins l’un de ces écrivains qu’on découvre un jour — souvent trop tard — pour ensuite se lancer dans une chasse fébrile à tous ses textes, romans comme nouvelles, tant son univers fascine par sa cohérence désabusée. Sans négliger ses envolées érotiques, qui lui ont valu dans la bouche des grenouilles de bénitiers catho-littéraires le titre ronflant de pornographe de la science-fiction.
Ma propre rencontre avec Jean-Pierre Andrevon remonte à l’adolescence, comme c’est souvent le cas avec les grands auteurs de SF. À l’époque, je dévorais les petits volumes de la collection Présence du Futur chez Denoël, reconnaissables entre mille à leurs couvertures unies, rehaussées d’un cercle énigmatique abritant une illustration hallucinée. Une promesse, souvent tenue, d’un contenu et d'un contexte déroutants. Je les trouvais sur les étagères de la bibliothèque de Saint-Quentin, l'annexe d'Harly, avec la complicité d'un agent qui me laissait emprunter un peu tout ce que je souhaitais, y-compris certains ouvrages habituellement destinés à des amateurs plus expérimentés qu'un gamin de cinquième. Andrevon a vite fait partie de mes découvertes d'alors, avec ses visions du futur aussi puissantes que désespérées. Dans Paysages de mort, recueil de nouvelles paru initialement en 1975, l’auteur déploie un regard d’une noirceur lucide sur la condition humaine. Il y scrute notre avenir non pas à travers le prisme de la conquête ou du progrès, mais au contraire par celui du déclin, de la vacuité de nos réalisations, de cette course effrénée vers une fin que nous aurons nous-mêmes programmée. L’anticipation chez Andrevon n’est jamais synonyme d’élévation — mais plutôt de chute. Il n’y a pas d’ascension, pas d’échappée cosmique, juste la perspective glaçante d’une extinction annoncée. Dans l’épilogue, sans doute l’une des parties les plus marquantes du livre, on peut lire cette sentence implacable : « Rien ne circule entre les étoiles, tu le sais. Et l’homme n’ira jamais dans les étoiles. Il n’en aura pas le temps. Elles sont trop loin. La merde monte. Il n’a même pas encore été capable d’aller poser son pied sur Mars. Tu le sais. » Tout est dit. L’homme échouera à rêver au-delà de son nombril. Et même lorsqu’il rêve encore, il est déjà trop tard. Le texte presque éponyme, "Paysage des morts", fonctionne comme une longue énumération funèbre, une procession d’images apocalyptiques où la mort, toujours, finit par triompher. Mais au-delà du simple constat fataliste, Andrevon dessine un décor à la fois métaphorique et très ancré dans les peurs des années 1970 : celle d’un holocauste nucléaire imminent, celle de la planète rendue inhabitable, celle d’un quotidien rétréci à quelques mètres carrés de béton, sous la menace constante de la folie humaine. Même Tarzan, ce roi de la jungle, ne peut échapper au sort commun. Son territoire s’est réduit comme peau de chagrin et sa légende survit grâce à des répliques robotiques, des simulacres pathétiques. Ailleurs, certains se terrent dans des cavernes, survivants hagards d’un monde post-apocalyptique, dopés aux hallucinogènes pour croire encore à un ennemi venu d’ailleurs, alors que la guerre est finie depuis longtemps. L’homme devient la caricature tragique de lui-même, pris au piège de son propre hubris, tel un rat dans son labyrinthe empoisonné (dans la nouvelle "Les rats", en toute logique). Andrevon, dans ce recueil comme dans tant d’autres de ses œuvres, nous tend un miroir sans indulgence. Et si le paysage est de mort, ce n’est pas par goût du macabre, mais par lucidité. Son œuvre, à bien des égards, fait office d’alerte. Une alerte littéraire, poétique, politique. Un goût pour l'anticipation qui est (presque) devenu notre présent. Une dernière pichenette, et nous y serons.
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