Sous les ors du Second Empire, alors que la France s’enivre de progrès, de chemins de fer et d’expositions universelles, l’Empereur Napoléon III, lui, vit une lente dégringolade et serre les dents. Sa santé, déjà fragile dès les années 1850, devient, dans la décennie suivante, l’ombre portée de son règne. On a parfois moqué son regard éteint, sa posture raide, ses absences en conseil, sans toujours comprendre qu’il ne s’agissait pas de lassitude politique mais bien de douleurs physiques insidieuses — celles d’une maladie de la vessie dont l’origine semble aussi confuse que le suffrage universel sous surveillance impériale. Les premières atteintes se manifestent par des difficultés à uriner, des douleurs lombaires, une gêne constante qui contraint l’Empereur à s’asseoir avec une prudence de diplomate autrichien. C’est, on le comprendra plus tard, une lithiase vésicale, autrement dit une accumulation de calculs urinaires qui transforment la vessie en un sablier douloureux. La médecine du dix-neuvième, sûre d’elle mais fort peu efficace, oscille entre bains de siège, saignées, cataplasmes et charlatanismes. Du reste, envoyer le pauvre Empereur en cure thermale, à Vichy, est exactement le contraire de ce qu'il aurait fallu faire en pareille occasion.
En 1865 déjà, les symptômes s’aggravent. L’homme qui se voulait à la fois Empereur indiscuté et grand artisan du nouveau libéralisme (l'Empire Libéral, sa grande marotte) s’épuise à marcher, à écrire, à parler. Lors des cérémonies officielles, il semble absent, voire même parfois totalement anesthésié, par les fortes doses pharmacologiques censées atténuer la douleur. L'Impératrice Eugénie est de plus en plus souvent amenée à tirer les fils d'un pouvoir qui vacille dangereusement et dont la politique étrangère s'étiole terriblement, mois après mois. Napoléon III consulte des spécialistes anglais et français, qui rivalisent d’inefficacité dans une époque où l’urologie relève encore de la divination. L’un d’eux, d’ailleurs, convaincra l’Empereur de ne surtout pas opérer, ce qui, avec le recul, ressemble à un sabotage chirurgical. En 1870, la maladie atteint son paroxysme. L’Empereur ne tient plus debout, plie sous les crises, urine goutte à goutte dans la douleur, et c’est pourtant lui qu’on envoie à Sedan pour commander une armée, fantôme à cheval, condottiere spectral d'une nation qui va connaître la déroute totale face aux Prussiens. La conclusion est inexorable : la défaite, la capture, l’exil. À Chislehurst, en Angleterre, où il finira ses jours, Napoléon III ne gouverne plus que son fauteuil, et encore. Les crises douloureuses le réveillent la nuit, le rendent irritable, triste, rongé d’un sentiment d’inutilité que même l’impératrice Eugénie ne parvient plus à atténuer. En 1873, on décide enfin de l’opérer. L’anesthésie est approximative, l’asepsie encore balbutiante, et la médecine, comme souvent au XIXe siècle, tente un dernier exploit pour mieux signer l’échec. L’Empereur meurt au cours de l’intervention. Il laisse une veuve inconsolable, un fils orphelin, et une République en devenir, en construction. Aujourd’hui encore, la maladie de Napoléon III résonne étrangement avec notre époque : un chef de l’État seul, mal conseillé et affaibli, un pouvoir qui se délite sans que personne n’ose vraiment le dire, des conseillers hésitants, des médecins divisés, et une nation qui regarde ailleurs… jusqu’au désastre. Il y a parfois, entre Second Empire et Cinquième République, des airs de famille. Certes, aucune maladie de la vessie n'a été diagnostiquée à notre Souverain actuel, mais l'inconséquence du petit bonhomme le rapproche, à bien des égards, de son ancêtre impérial.
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