MA MÈRE, DIEU ET SYLVIE VARTAN (de Ken Scott)
Je pense que tout le monde connaît désormais Jonathan Cohen. On peut l’appeler humoriste, ou acteur comique contemporain, ce qui revient à dire qu’il enchaîne les rôles dans des projets de faible envergure, visibles un peu partout, tout le temps — sans pour autant laisser de souvenirs impérissables dans l’histoire du cinéma. Cohen, c’est un peu l’incarnation de l’esprit Canal, mais celui des dernières années : pas celui des grandes heures iconoclastes, non, celui des formats tièdes et des personnages vaguement irritants, parfois touchants, mais rarement plus. Je ne dis pas que le type est dénué de talent ou qu’il ne sait pas faire rire — je dis simplement qu’il dégage une forme de fadeur professionnelle, une transparence polie et faussement vulgaire à laquelle je n’adhère pas. Dans Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan, on le retrouve dans le rôle d’un homme à qui tout a réussi, alors que rien ne semblait jouer en sa faveur à la naissance. Né avec un pied bot dans une famille nombreuse et populaire, le jeune Roland passe les premières années de sa vie à ramper sur le linoléum familial ou à végéter dans un lit, en attendant une intervention divine plus qu’un traitement médical. Sa mère, une juive marocaine fervente croyante et étouffante (interprétée avec une certaine conviction par Leïla Bekhti, constamment grimée), est persuadée que Dieu lui a promis un destin hors du commun.
C’est dans ce contexte qu’émerge un élément aussi inattendu que central : la passion du garçon pour Sylvie Vartan, véritable divinité domestique qui vient rythmer la vie de famille, des posters aux vinyles. La progression de ce garçon, que l’on disait condamné à l’immobilité, devient alors une sorte d’ascension mystico-pop. À l’âge adulte, Max tente d’abord une carrière artistique, avant de devenir un brillant avocat, de se marier, de faire des enfants et, somme toute, de surpasser allègrement toutes les prédictions que son handicap lui réservait à la naissance. Le film, à l’image de son interprète principal, est globalement sympathique. Quelques moments d’émotion fonctionnent plutôt bien, mais l’ensemble peine à décoller. On dirait une comédie consensuelle de première partie de soirée, pour la télévision publique : plaisante, jamais indigeste, mais totalement oubliable. Une sorte d’apéritif pas trop salé, juste de quoi aiguiser la faim avant de rentrer cuisiner soi-même quelque chose de consistant. Et pourtant, au milieu de ce récit, un moment m’a sincèrement touché — et il n’a rien à voir avec la mère oppressante ni avec la star des yéyés. C’est une scène discrète, presque banale, dans un restaurant, où Roland prend soudain conscience qu’il ne connaît rien de son père. Pas une grande révélation, pas de musique larmoyante, juste une conversation tardive entre deux hommes qui n’ont jamais su se parler. Quelques instants d’une justesse troublante, qui m’ont rappelé — peut-être un peu trop — l’absence de dialogue que j’ai moi-même connue avec mon père avant sa mort, l’an dernier. Ce père dont je n’ai pas eu, dans mon cas, « six mois de rab » pour essayer de le comprendre (ceux dont dispose Roland dans le film). Une scène qui m’a frappé là où ça fait mal ; j'aurais peut-être pu réaliser à temps qu'une grande partie de mes blessures était guérie depuis longtemps, cesser de continuer à vouloir lécher la plaie et regarder les fils. Mais avec mon père, ça n'avait rien de simple. Ni d'évident. Pour finir, parlons de Sylvie Vartan. Oui, elle apparaît à l’écran. Fréquemment. Et si elle parvient à conserver une certaine dignité, il faut bien reconnaître qu’elle ressemble davantage à une relique sous vide qu’à une actrice. Son jeu est aussi figé qu’un lifting réalisé à la fraîche, en Roumanie. La dernière fois que j’ai vu un tel naturel sur un visage et chez une comédienne, c’était probablement lors de la campagne présidentielle de Valérie Pécresse. C’est dire. Je n’ai pas lu le livre dont est tiré le film, et je n’ai qu’une connaissance vague de son auteur, ce qui ne m’empêche pas d’esquisser un sourire poli en sortant de la salle. Oui, je n’ai pas vu le temps passer. Mais j’ai aussi l’intuition que je n’en garderai pas grand-chose.
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