mercredi 28 mai 2025

FLOW (de Gints Zilbalodis)

 Dans une année cinématographique déjà surchargée en animation avec des poids lourds comme Le Robot Sauvage et Vice-Versa 2, Flow de Gints Zilbalodis a pourtant réussi à tracer sa propre voie : douce, silencieuse, mais ô combien singulière. Ce second long-métrage du réalisateur letton, coproduit par la Lettonie, la France et la Belgique, s’ouvre sur une image aussi simple qu’éloquente : un chat noir contemple son reflet dans une eau qui, tour à tour, incarne la vie, la menace, et la révélation de soi. À elle seule, cette image pourrait résumer toute l’ambition poétique de Flow. Première (bonne) idée, pas de dialogues, pas de sidekicks bavards ni de clins d’œil à la pop culture. Les animaux ne parlent pas, ne dansent pas, ne citent pas Shakespeare. Ils vivent, fuient, explorent, s’étonnent. Ce minimalisme assumé, presque provocateur face au tumulte infantile des productions mainstream, confère au film une grâce rare, celle d’un conte primal qui parle à notre instinct plus qu’à notre intellect. Le chat, héros silencieux, croise tour à tour un capybara (gros rongeur, j'ai fait mes recherches) placide, un chien loyal, un lémurien féru de miroirs (probablement l'animal le plus anthropomorphisé), et un oiseau blanc, tous réfugiés sur une embarcation improvisée dans un monde submergé. Le réalisme animalier est l’un des paris les plus audacieux du film. Loin d’une approche disneyenne rassurante, Flow choisit l’observation et l’instinct comme seuls guides narratifs. Si cela peut dérouter, notamment dans certaines séquences où les animaux semblent tout de même maîtriser l’art de la navigation sans jamais se parler (parce que quand même, un grand oiseau à la barre, c'est assez peu probable), le film transforme cette étrangeté en force. C’est justement cette tension entre nature brute et construction narrative qui fait toute l’identité de Flow : une fable sans paroles, mais qui n'en est que plus convaincante. Visuellement, Zilbalodis mêle habilement une animation 3D stylisée, presque tactile, avec un soin du cadre et du mouvement qui évoque tantôt Miyazaki, tantôt Malick. L’univers semble respirer à l’écran, porté par une caméra flottante et des paysages noyés dans une lumière liquide. Chaque arrêt sur image pourrait être encadré et suspendu au mur d’un musée dédié à la mélancolie post-apocalyptique. Et pourtant, malgré cette splendeur contemplative, l’ensemble ne verse jamais dans le maniérisme. L’émotion naît du regard lumineux du chat, des silences partagés, des micro-drames animaliers, comme cette étonnante scène d’affrontement entre oiseaux où se jouent, sans un mot, l’exclusion, la peur et la quête d'une place parmi les autres. On pourrait reprocher au film une certaine incursion mystique mal digérée — notamment une scène finale où les personnages se mettent à léviter sans que rien, auparavant, n’ait laissé présager une telle rupture de ton. Un moment un peu perché, au propre comme au figuré, qui donne l’impression que Flow hésite entre le réalisme poétique et le trip cosmique. Mais c’est une faute de goût pardonnable dans un film qui, jusque-là, frôle l’harmonie totale. En 85 minutes qui passent comme une bonne bière en été, Flow réussit à émouvoir sans un mot, à captiver sans action frénétique, à raconter l’altérité sans didactisme. Une épure audacieuse, qui laisse au spectateur la soin de ressentir, de contempler, de se projeter. Car au fond, Flow ne raconte peut-être rien d’autre que notre propre besoin de lien, de refuge, et de ce petit quelque chose d’insaisissable qui nous pousse, nous aussi, à avancer malgré la crue. Sans tenir compte des espèces, de notre nature carnassière, de notre misérable humanité.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire