samedi 10 mai 2025

LE FAISEUR D'UNIVERS (DE PHILIP JOSE FARMER)

 Imaginez que vous ouvriez votre placard pour tomber sur autre chose qu’une colonie de mites et trois pulls made in Bangladesh achetés sur Ali Express. Imaginez qu’il mène à un autre monde, un monde où des dieux capricieux organisent la géographie comme s’ils jouaient aux Legos cosmiques, et où l’aventure devient le maître-mot d'un quotidien aussi merveilleux que dangereux. Voilà ce qui arrive à Robert Wolff, anti-héros très moyen et bedonnant, propulsé dans Le Faiseur d’univers, premier tome du cycle de la Saga des Hommes-Dieux (Thoan), concocté par l’esprit bouillonnant — qui ne carburait pas uniquement à l'eau de source — de Philip José Farmer.

Farmer, c’est ce type d’auteur qu’on imagine capable de débattre à la fois avec Freud, Flash Gordon et un prédicateur baptiste, sans qu'il ne perde le fil de son discours. Hétéroclite et savant.  Il est à la science-fiction ce que le cocktail molotov est aux manifestations parisiennes : imprévisible, explosif et inévitablement dérangeant. Au fil d’une carrière jubilatoire, il a bousculé les codes, s'est joué malicieusement des tabous religieux et sexuels de la SF, a anticipé le postmodernisme tout en s’amusant comme un petit fou avec des récits d’aventure bigger than life. Des livres qui ne dépareilleraient pas sous forme de blockbusters estivaux au cinéma, où ils n'ont pas encore connu (à ce jour, et c'est une injustice criante) la fortune qu'ils mériteraient. Le Faiseur d’univers, publié en 1965, est un condensé de cette énergie incontrôlable. On y suit donc Wolff, un monsieur-tout-le-monde qui emprunte un passage dimensionnel situé dans un placard (lui-même disposé dans une maison qu'il visite avant un achat éventuel) et atterrit dans un monde en forme de tour de Babel géante, où chaque étage correspond à un royaume différent : mers antiques, jungles barbares, panthéons recyclés et autres bizarreries dignes d’un best-of de la pop culture sous acide. Le tout est cependant cohérent, fascinant, remarquablement exposé. À peine arrivé, le brave Wolff voit son corps rajeunir de jour en jour et il s'embarque dans une quête fantasmagorique, durant laquelle il croise Kickaha, un Indien facétieux dont le vrai nom est Paul Janus Finnegan (faites attention aux initiales, Philip José Farmer s’amuse et s'idéalise en scène). Ce dernier, sorte de trickster interdimensionnel, sera le fil rouge de la saga — un peu comme si Loki avait eu le privilège de devenir le véritable héros de la saga de Thor. Ensemble, ils affrontent des demi-dieux, des clones, des portails sonores (oui, on passe d’un monde à l’autre en soufflant parfois dans un cor) et des seigneurs omnipotents, un peu soupe au lait. Bref, une journée ordinaire dans l’univers de Farmer. Sous ses dehors pulp et rocambolesques, le roman pose tout de même quelques questions très pertinentes : qui décide de la réalité ? Peut-on échapper à sa condition humaine en changeant de corps, d’univers ou de niveau de conscience ? Farmer, avec son sens du rythme et son goût du bizarre, signe ici un roman débordant d’imagination, qui embrasse le pastiche érudit et la réinvention de bien des mythes. Les tomes suivants vont venir étoffer et complexifier un univers qui donne le vertige et qui ressemble, dès la première lecture, à un classique de la SF-aventure, à la fois jubilatoire, délirant et étrangement profond. Farmer, la créativité débridée, affranchie de toutes les règles, de tous les carcans. Soixante ans plus tard, Le Faiseur d'Univers est toujours aussi indispensable. 





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