Le système Victoria (de Sylvain Desclous)
David est responsable d’un chantier d’envergure : la construction d’une immense tour dans le quartier de La Défense. Le gros œuvre a déjà pris un retard conséquent. Un jour, par le plus grand des hasards – ou du moins sous son apparence –, il fait la rencontre de Victoria, directrice des ressources humaines d’une holding internationale. Bien qu’ils n’aient a priori pas grand-chose en commun, un jeu de séduction s’installe rapidement entre eux, mené par Victoria, et aboutit inévitablement à une relation.
J'ai choisi de commencer par la plus grande des banalités : vous résumer l’intrigue du film en quelques lignes. Voilà qui est fait. Passons maintenant à quelque chose de bien plus personnel et, à mes yeux, de bien plus intéressant : une analyse des rapports de pouvoir et d’influence entre les hommes et les femmes, à travers ce que nous venons de voir sur grand écran. Pour ceux qui me connaissent et avec qui j’ai régulièrement l’occasion de converser, cette catégorisation ne sera qu’une énième répétition. Je radote souvent. Les relations sentimentales ou sexuelles entre deux adultes consentants sont, croyez-le ou pas, régies par trois types de capital : le capital physique, le capital économique et le capital intellectuel. Un déséquilibre trop marqué dans l’une de ces catégories condamne inévitablement une relation, voire l’empêche même de naître. Cependant, une carence dans l’un de ces domaines peut être compensée par une surabondance dans l’un des deux autres. Par exemple, un homme très laid et moyennement intelligent, mais disposant de ressources économiques éclatantes, aura accès à un éventail de femmes dont le commun des mortels se contentera de rêver toute sa vie. De la même manière, une femme dont le capital physique est exceptionnel trouvera toujours des hommes prêts à lui faire la cour, voire à lui offrir un royaume, indépendamment de son niveau d’instruction ou de sa situation financière. Par "capital économique", il faut d’ailleurs entendre également le pouvoir, les deux allant souvent de pair, bien que ce ne soit pas systématique. Ce qui rend cette catégorie la plus efficace aujourd’hui, c’est l’accès qu’elle procure à des sphères autrement inatteignables.
Dans ce film, Jeanne Balibar incarne une femme mature et machiavélique, disposant de ressources économiques que l’on devine bien supérieures à la moyenne. Elle est aussi particulièrement intelligente et instruite (elle parle allemand et chinois, s'y entend en architecture) et bien que n’étant pas un canon de beauté absolue, elle reste désirable. Face à elle, David manque cruellement de discernement et pense avec l'entrejambe. Il ne possède en lui aucun atout susceptible de faire naître ce genre d'alchimie, dans cette situation donnée : ses ressources sont nettement inférieures, son instruction également, et physiquement, son allure de bouledogue passé sous l’averse et un début d'embonpoint ne jouent pas en sa faveur. Il est donc hautement improbable que Madame s’intéresse à Monsieur, encore moins qu’elle lui accorde un simple apéritif, et a fortiori une nuit d’hôtel passionnée. Si David avait appliqué à sa situation la grille de lecture que je viens d’évoquer, il aurait vite compris qu’il se faisait mener par le bout du nez et que son idylle filait droit vers une sortie de route cruelle. Mais au lieu de cela, il a préféré foncer pied au plancher, persuadé de maîtriser un véhicule dont il n’est même pas au volant. Le film est presque réussi, car il met bien en lumière ces mécanismes et offre une vision jubilatoire à qui n’est pas naïf et sait en décrypter les rouages. Malheureusement, il s’enlise dans une dernière partie assez ridicule où, tout à coup, David découvre un univers de luxure et d’amours licencieuses, avec notamment une scène de club échangiste représentée de manière caricaturale, voire grotesque. On notera au passage que ce type de soirée, dans les établissements "select" de Paris, est évidemment réservé à ceux qui possèdent les fameux capitaux physiques et économiques. Impossible d’y pénétrer et d’y jouer un rôle fantasmé si l’on n’appartient pas à la catégorie des CSP+ ou si l’on ne bénéficie pas d’un "passe" ouvrant des portes autrement closes. Même baiser, à un certain niveau, ce n'est pas pour les pauvres.
À défaut de pouvoir juger positivement ce film, qui à mon sens passe à côté de son sujet dans sa dernière partie, on se contentera de dire que c’est bien fait pour la pomme de David. Malheureusement, ce genre d’individu existe bel et bien dans la vie réelle. Ils constituent même la grande majorité des hommes, souvent incapables de comprendre ce qui se passe dans la tête des femmes. Lorsque ces dernières ont la subtilité et la clairvoyance de s’en rendre compte, elles peuvent devenir de redoutables marionnettistes… et auraient sans doute tort de s’en priver. De l'art de tirer sa crampe tout en conservant un afflux de sang raisonnable au cerveau.
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