L'analogie entre le cinéma à grand spectacle (le blockbuster, comme on a coutume de dire. Nos esprits sont formatés jusque dans le langage) et les grands conflits qui embrasent la planète depuis un siècle n'est pas des plus évidentes. Mais on peut la tenter, à condition de prendre le temps de s'expliquer. Je veux dire, il conviendrait probablement aujourd'hui d’envisager l’hypothétique Troisième Guerre mondiale qui trotte dans certains esprits comme une superproduction hollywoodienne. Pour mieux cerner les raisons qui font qu'elle n'a toujours pas éclaté.
Il faut remonter jusqu'à la première guerre mondiale, telle que nous la nommons de nos jours. Le premier conflit d’ampleur du XXᵉ siècle, qui impliqua pour la première fois de l’Histoire la quasi-totalité des continents de la planète, avait ceci de particulier qu’il opposait un camp du Bien et un camp du Mal clairement définis, autour d’une intrigue complexe aux multiples ramifications. Cette guerre fut le théâtre de prouesses technologiques inédites et, malheureusement, d’une hécatombe humaine sans précédent. Sur le papier, matière à un grand film de guerre, politique, dramatique. Le cinéma s'en est nourri, du reste, jusqu'à l'indigestion. À partir de là, la Seconde Guerre mondiale apparaît comme le deuxième volet d'un même projet cinématographique, tourné immédiatement après le succès du premier. Endgame, après Infinity War. Or, lorsqu’on réalise une suite, il faut d’abord identifier un antagoniste, un super-vilain encore plus charismatique, détestable et cruel que la menace initiale. Adolf Hitler et les nazis étaient parfaits pour ce rôle : de l’esthétique même du danger qu’ils incarnaient à la folie intrinsèque de leur projet, tout était réuni pour faire de ce conflit un blockbuster tragique, destiné à marquer l’humanité durablement. Et puisque tout grand film catastrophe se doit d’éblouir son public, il fallait des effets spéciaux à la hauteur, des avancées technologiques encore plus spectaculaires que celles proposées vingt ans plus tôt. Ce fut le cas (sans oublier un subplot qui confine à l'ignoble et au génie, la solution finale), avec en point d’orgue l’arme atomique, star inattendue d’une conclusion dantesque. Les recettes furent faramineuses (le Plan Marshall et la possibilité d'asseoir définitivement l'hégémonie américaine sur le monde "libre" pour les décennies à venir) au point que ça reste à ce jour le sommet du genre, au box office.
Depuis, nous sommes dans l’attente d’un troisième volet que personne n’est parvenu à réaliser. Il y a bien eu quelques spin-offs, ici et là – Vietnam, Irak, Afghanistan… – mais rien de comparable. Ou plutôt, si, des petites séries, destinées au marché domestique et diffusées sur abonnement, grâce aux plateformes. Si on n'est pas un cinéphile exigeant, ça peut le faire, en binge watching, un samedi soir. En réalité, le projet du troisième grand long-métrage, mettant en scène une guerre totale et planétaire, dort dans les cartons depuis des décennies. Mais à chaque fois que l'idée revient dans les discussions, personne ne se décide à la financer. Pourquoi ? Parce qu’on peine à trouver un antagoniste crédible. Dans une surenchère logique, le scénario exige un ennemi capable de faire se dresser contre lui l’essentiel des forces de la liberté. Or, nous ne savons plus ni qui pourrait incarner cette menace ultime, ni comment la combattre sans que le film ne trouve sa conclusion au bout de vingt minutes, générique de fin précipité par une apocalypse nucléaire. Sans même d'ailleurs, que nous puissions clairement définir qui pourrait aujourd'hui reprendre le rôle de ces forces de la liberté. Les vedettes d'hier sont devenues de sinistres cabotins. Nous sommes donc bloqués, prisonniers d’une impasse scénaristique. S’il devait y avoir un troisième volet à cette grande saga mortifère, ce serait sans doute le dernier. Et il faudrait, en termes d’images, de mise en scène spectaculaire, de rebondissements et d’innovations technologiques, surpasser les deux premiers. La surabondance narrative et visuelle. Le synopsis existe, plusieurs grands producteurs l'ont vu et s'en lèchent les babines, mais il manque l'essentiel, les acteurs, les assurances, une fin digne de ce nom. Certains trailers sont mis à disposition assez régulièrement sur les réseaux sociaux, mais c'est juste de fades fan fictions, rien de plus. L'apocalypse, la vraie, le point final, l'extase définitive, restent l'arlésienne du septième art. Silence, on tourne (bientôt) ?
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