PARTHENOPE (de Paolo Sorrentino)
Selon votre conception du cinéma, l’œuvre de Paolo Sorrentino peut apparaître soit comme un exercice de style esthétisant des plus fascinants, soit comme un puissant narcotique. Son attention maniaque portée à l’image et à la construction d’un univers onirique et imprimé sur papier glacé se heurte parfois, de manière excessive, à la tentation d’ajouter une énième couche de crème sur une pâtisserie qui constituait déjà un piège mortel pour un diabétique gourmand. Parthenope, dès ses premières images, s’inscrit pleinement dans cette veine artistique et culinaire. Parrainé en partie par la maison Saint Laurent, le film porte l’empreinte des obsessions propres à Sorrentino dès son plan initial. Pourtant, peu à peu, il se révèle bien plus profond et surtout plus abouti que ce que l’on pourrait croire, à en juger par certaines critiques pernicieuses et les railleries de bas étage des cuistres modernes, qui étaient parvenues à mes oreilles. Le film constitue une remarquable mise en abyme de la manière dont la jeunesse s’efface dès l’instant même où l’on croit pouvoir la saisir. Il interroge la puissance de la vie, l’essence vitale de nos plus belles années, le pouvoir ensorcelant de la beauté juvénile. Tout cela ne dure qu’un instant, même si, à l’échelle d’une vie, on peut parfois avoir l’illusion que ces sentiments sont éternels. È stato meraviglioso essere ragazzi. È durato poco.
Parthenope est peut-être (à mon humble avis, qui n'a rien de vraiment humble si vous me connaissez) une véritable apothéose du cinéma de Paolo Sorrentino. Le sacré et le profane y sont entrelacés avec une virtuosité rarement égalée. Dans ce film, le réalisateur offre une vision de Naples qui transcende le simple décor de carte postale apparent pour devenir un personnage à part entière, un lieu mythique et vivant où chaque ruelle, chaque visage, incarne à la fois la grandeur d’un mythe et la fragilité du quotidien. La protagoniste, Parthenope (Celeste Dalla Porta, magnifique), apparaît comme une énigme lumineuse, née des eaux avec la solennité d’une déesse antique pourtant profondément humaine. En elle, nous trouvons une des dualités essentielles de tout le cinéma de Sorrentino. La jeune femme (dont nous allons suivre en réalité toute l'existence, sept décennies traitées avec la plus grande des libertés) hésite entre l’innocence divine et l’audace charnelle, symbole vivant d’une jeunesse éphémère qui se drape d’une aura quasi sacrée. Du coup, le film s'interroge sur l’essence même du désir, cette pulsion intemporelle qui semble pouvoir défier la fugacité du temps. On peut tout se permettre, tout avoir, tout saisir sans le moindre effort, quand on est divinement beau. Je vous renvoie à la théorie des trois capitaux qui régissent les relations et donc les transactions humaines, dans une critique rédigée ces jours derniers (Le Système Victoria). De fait, Sorrentino excelle dans l’art de marier l’esthétisme à l’âme, ce qui lui permet d'offrir une expérience sensorielle d’une rare intensité. Certains, les grands sensibles qui se définissent féministes jusqu'à l'outrance, ont fait la moue devant le regard complaisant du réalisateur et ses plans lascifs et insistants qui lorgnent sur chaque centimètre carré de la plastique de la protagoniste, mais l'art se fiche bien des lubies du moment, après tout. La ville de Naples, elle, se déploie tel un tableau (é)mouvant, où l’éclat des monuments se mêle à l’ombre des ruelles. Dans cet amalgame, la dimension sacrée se superpose à l’ordinaire, créant une tension fascinante où le profane se fait l’écho du divin. Les scènes qui fusionnent le sexe et le divin, dans la Cathédrale de Naples, sont parfaitement explicites et bienvenues.
Dans Parthenope, chaque plan est pensé comme une peinture, une composition minutieuse qui puise dans l’imaginaire collectif pour révéler la beauté et la décadence simultanées d’un univers déjà mort avant d'avoir vraiment vécu. Le film se décline en une succession de tableaux vivants, de fragments d’une fresque grandiose où se reflète la dualité intrinsèque de l’existence. Parfois, on peu regretter le manque de liant, d'unité entre ces épisodes qui défilent, mais Sorrentino s'en moque éperdument. La vie défile, court, se précipite, se prend les pieds dans le tapis. C'est cela, l'existence, quelle vanité de vouloir lui imposer une scansion du temps qu'elle n'aura jamais ! Retournez-vous sur votre passé : c'était à l'aube de votre temps, c'était hier. L’interpénétration subtile entre le sacré et le profane est donc ici la clef de voûte du film, j'y reviens. Les rituels, les symboles religieux et les moments d’extase se juxtaposent aux scènes de vie quotidienne avec une rare pertinence. On est tour à tour confronté à la splendeur des cérémonies, à l'apparat des lieux de culte, et à la brutalité d’une réalité urbaine, sans artifice, qui rappelle sans cesse la présence d'un réel poisseux et sordide : une dimension presque mystique, où la transcendance n'est qu'une vaste blague. On croit accéder au ciel avant de se vautrer le menton dans la merde ou le sperme. Au cœur de Parthenope, c’est finalement une interrogation existentielle qui est posée : entre mystère et mirage, la beauté sublime-t-elle réellement, ou est-elle une illusion savamment orchestrée pour mieux dissimuler la réalité ? C'est dans cette ambiguïté même que réside la force du film. En confrontant le divin et le terrestre, en mariant le rituel à la vie de tous les instants, en confondant le miracle et l'arnaque (ça pourrait aussi être un slogan parfait pour l'office de tourisme napolitain, voire pour une grande partie de l'Italie moderne tout entière), Parthenope est non seulement un hommage vibrant à la ville de Naples et à son patrimoine mystique, mais aussi et surtout une méditation sur la fragilité et la misère de la condition humaine. En quête d'absolu, de savoir, de beauté, tout se termine toujours de la même façon. Le jeu s'achève systématiquement avant que ses joueurs n'en connaissent les règles et pourquoi ils jouent. Pour Sorrentino, le cinéma est ce qui s'approche le mieux, probablement, de la notice avec les instructions.
Pour ceux qui l'ignorent : La sirène Parthenope est une figure mythologique associée à Naples, qui incarne la beauté envoûtante et le destin tragique de la ville. Elle symbolise le lien intime entre la mer et la ville.
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